Ce sont trois mots qui fâchent. Les députés ont adopté en première lecture, mardi 17 mars, la proposition de loi PS-UMP sur la fin de vie. Celle-ci prévoit la mise en place d'une "sédation profonde et continue" pour les patients atteints d'une affection incurable, et dont le pronostic vital est engagé à court terme.

Certains y voient une évolution souhaitable de la loi de 2005, d'autres une avancée insuffisante, ou au contraire une dérive dangereuse. En quoi consiste cette sédation ? Comment et quand serait-elle pratiquée ? Francetv info résume les enjeux de cette pratique en quatre questions. 

Comment plonge-t-on un patient dans une sédation profonde et continue ? 

En lui administrant un anxiolytique, le midazolam. Cette molécule n'est disponible qu'en milieu hospitalier, elle ne peut pas être prescrite par un médecin généraliste. Elle plonge le patient dans un profond sommeil, qui peut être prolongé jusqu'à la mort. On y ajoute un antalgique, pour être sûr d'apaiser les souffrances induites par la pathologie, mais aussi par l'arrêt des traitements.

Si elle n'apparaît pas noir sur blanc dans la loi Leonetti de 2005, la sédation en phase terminale est déjà pratiquée. Mais selon les médecins, elle n'est pas si fréquente. A la maison médicale de soins palliatifs Jeanne-Garnier, à Paris, elle représente moins de 5% des cas, selon la responsable, Marie-Sylvie Richard, jointe par francetv info. "Je n’ai rencontré, en vingt-cinq ans de carrière en soins palliatifs, que six ou sept cas qui rentrent dans ce cadre", indique pour sa part, dans Paris-Match, Eric Kariger, le médecin qui a suivi Vincent Lambert

Les réserves. Certains professionnels estiment que l'évolution de la loi Leonetti, en 2010, suffit. En effet, elle prévoit déjà l'administration d'antalgiques et de sédatifs pour soulager le malade en cas d'arrêt des traitements. D'autres professionnels craignent un recours "systématique" à la sédation si elle est inscrite dans la loi. "On coupe la relation et la communication avec le patient", regrette Marie-Sylvie Richard, également docteure en éthique médicale.

Quand cette décision peut-elle être prise ?

La proposition de loi liste trois cas de figure. Dans les deux premiers, le patient est conscient. S'il est atteint "d'une affection grave et incurable" et si son "pronostic vital est engagé à court terme", il peut solliciter une sédation profonde et continue s'il présente une souffrance réfractaire au traitement (grande détresse respiratoire ou psychique, par exemple). Il peut également demander à être endormi s'il décide d'arrêter un traitement, et que cet arrêt engage son pronostic vital à court terme. "Un malade sous respirateur depuis longtemps ou en dialyse permanente peut nous dire : 'Je ne supporte plus'", explique Marie-Sylvie Richard. 

Dans le troisième cas de figure, le patient est inconscient et ne peut exprimer sa volonté. Dans le cadre d'un refus d'acharnement thérapeutique, le médecin peut arrêter son maintien en vie, et recourir à la sédation jusqu'à la mort.

Les réserves. Le premier cas de figure fait moins débat. "Le patient présente un état général altéré avec des symptômes qui prouvent qu'il est en fin de vie", interprète Marie-Sylvie Richard. Il n'en va pas de même pour le deuxième. "Un patient peut exiger d'être sédaté alors que l'arrêt de son traitement, une dialyse ou une transfusion par exemple, ne va pas entraîner sa mort à si court terme", explique-t-elle.

"Jusqu’ici, la sédation profonde est réservée aux malades en phase terminale. C’est-à-dire qui n’ont plus que quelques heures à vivre. Quand vous faites disparaître cette notion de phase terminale, (...) il y a un risque de dérive euthanasique", observe Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien-démocrate, sur RMC. Si l'expression "phase terminale" est bien utilisée en préambule de la proposition de loi, elle n'est pas mentionnée dans l'article numéro 3 en question. Quant au dernier cas de figure, il fait référence à des cas dramatiques, comme celui de Vincent Lambert par exemple. Et pose la question de la légitimité de la décision et de son efficacité sur les éventuelles souffrances ressenties par le patient.

Cette sédation empêche-t-elle de ressentir la faim
et la soif ? 

Dans la proposition de loi, la mise en place d'une sédation profonde et continue est associée "à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie". Il peut s'agir de médicaments comme des antibiotiques ou des anticoagulants, de respirateur artificiel, de techniques invasives de réanimation, ou de traitements de survie comme la nutrition et l’hydratation. 

Les réserves. "Si la sédation profonde dure cinq jours, la déshydratation se voit sur le visage. Il y a des proches qui vont être choqués par ce qui se passe. Ce sont des jours abominables", assure dans Le Monde un élu PS, favorable à une aide active à mourir. Pour Marie-Sylvie Richard, il ne faut pas arrêter tous les traitements en même temps, "dans le quart d'heure", mais progressivement. Et l'hydratation peut être interrompue en dernier lieu, notamment sur des sujets plus jeunes et résistants. "Si cela dure plusieurs jours, ne pas donner une goutte d'eau à quelqu'un, c'est très difficile psychologiquement." Elle pointe des "problèmes de sécheresse", plutôt que de soif. "Si l'on fait des bons soins de bouche, la perfusion n'est pas nécessaire."  

Peut-elle entraîner la mort ? 

Dans la loi Leonetti, il est stipulé qu'un traitement visant à soulager la souffrance en phase terminale peut "avoir pour effet secondaire d'abréger la vie". Seul le mot "secondaire" a disparu dans la version de 2015. Bien dosée, la sédation provoquée par le midazolam n'entraîne pas la mort. Mais parfois, "l'organisme s'habitue très vite aux anxiolytiques, et il faut parfois arriver à des doses très élevées, combinées à d'autres médicaments, pour maintenir un sommeil profond", relève Marie-Sylvie Richard. C'est pourquoi, selon elle, le "court terme" évoqué dans la loi ne doit pas durer plus d'une semaine. A la maison Jeanne-Garnier, une sédation n'a jamais été au-delà.

Les réserves. Sa responsable regrette que le mot "secondaire" ait disparu du texte. "Tous les médicaments ont des effets secondaires et c'est parfois un traitement diurétique qui va accélérer la mort, et non la sédation." D'autres voient dans cette proposition de loi la mise en place d'une "euthanasie déguisée", qui ne dit pas son nom. Un argument balayé dans L'Express par le docteur Jean-Marie Faroudja, président du département Ethique et déontologie au Conseil national de l'ordre des médecins : "Ce n'est pas un geste létal comme dans le suicide assisté. La mort n'est pas donnée instantanément avec une seringue."