On peut y partager des photos, des contenus, communiquer avec ses contacts ou y écrire ses humeurs. VKontakte ("en contact", en russe), le réseau social russe fondé en 2006, ressemble à s’y méprendre à son cousin américain, Facebook, de deux ans son ainé. Même le code couleur, bleu et blanc, est inspiré du site créé par Mark Zuckerberg. Pourtant, certains semblent largement préférer la version russe.
En France, récemment, Alain Soral, essayiste conspirationniste, négationniste aux idées flirtant avec l’antisémitisme, a décidé de s’y créer un compte et d’appeler ses lecteurs à le suivre, après la décision de Facebook et d’Instagram de fermer la page de son site, Egalité et réconciliation. Dieudonné, aux idées souvent proches de celles d’Alain Soral, a également décidé de lui emboîter le pas, comme l’a notamment repéré 20 Minutes. Le blogueur nationaliste français Boris Le Lay les avait déjà précédés. Et aux Etats-Unis, ce sont de grands noms de la "droite alternative" (la plupart sont des suprématistes blancs, tels Clad Bagwell, Milo Yiannopoulos, John Rivers, ou encore la Ligue du sud et le Mouvement national socialiste américain) qui ont migré de Facebook et/ou twitter vers le réseau social russe, que cela soit par choix ou après avoir été écartés des réseaux sociaux traditionnels.
Les suprémacistes blancs aiment ‘la forte identité nationaliste’. Ils aiment Poutine
Selon le journal américain The Daily Beast, VKontakte (VK) leur offre en effet la possibilité de publier des contenus interdits dans leur pays et par la charte de Facebook, Twitter ou autres Instagram. Le journal nous apprend par exemple que Clad Bagwell a pu sans être inquiété "appeler à l’agression délibérée" de militants anti-racistes ou que l’un de ses amis peut tout aussi allègrement publier en photo de profil "un diable avec une étoile juive sur le front".
"Beaucoup ont vu en VK un refuge à l’abri du ‘politiquement correct’. Ils profitent de la mansuétude des autorités russes, qui voient d’un bon œil l’arrivée de ces ennemis autoproclamés de l’Occident", analyse pour 20 Minutes Tristan Mendès France, enseignant au Celsa et spécialiste des nouveaux usages numériques. "Les suprémacistes blancs aiment ‘la forte identité nationaliste’. Ils aiment Poutine, l'amour de la prolifération anti-LGBT. Cela correspond à leur liste de souhait ", poursuit l’analyste américain Keegan Hankes, spécialiste des réseaux sociaux, interrogé par The Daily Beast. Dans un Tweet, Dieudonné appelle à le suivre sur VK au nom de la lutte contre "la censure" et "pour plus de liberté".
Contrôlés par le FSB, VK constitue une menace pour la sécurité ukrainienne
Reste que depuis quelques années, la liberté ne semble pas vraiment caractériser le réseau social russe. En 2014, en effet, son fondateur Pavel Durov a été évincé de sa propre entreprise par les actionnaires du réseau social, proches de Vladimir Poutine. La raison officielle demeure encore floue. Mais son éviction est intervenue quelques mois après le refus de Pavel Durov de céder aux exigences des services secrets du Kremlin, qui lui demandaient de supprimer des comptes d’opposants, des groupes de discussion gênants pour Vladimir Poutine ou de faire remonter des informations sur des figures politiques.
Depuis, VK est régulièrement accusé d’être aux ordres du Kremlin. A tel point qu’en mai dernier, le gouvernement ukrainien a fait fermer le réseau social, expliquant sa décision par des besoins de "contre-propagande". "Contrôlé par le FSB, VK constitue une menace pour la sécurité ukrainienne", commentait alors l'expert ukrainien des réseaux sociaux Vitalii Moroz dans le journal Le Temps.
Leur eldorado de la liberté d’expression risque de ressembler à un désert aride à long terme
VK apparaît pour certains comme une menace d’autant plus grande qu’il connaît une croissance exponentielle. Le réseau social comptait 95 millions d’utilisateurs mensuels début 2017 (contre près d'1,9 milliard pour Facebook), avec une croissance record de plus de 40 % de ses bénéfices en 2015 et 2016. Cela en fait le réseau social le plus influent après le géant américain et le Chinois Weibo.
Pour le chercheur Tristan Mendès France, toutefois, les grands noms de l’extrême droite vont avoir du mal à s’y reconstruire. "Ils avaient créé un capital d’audience, avec des sites implantés depuis des années et de fait bien référencés… Sur VK, l’échelle de diffusion n’est plus du tout la même", détaille-t-il. Et de conclure : "Leur eldorado de la liberté d’expression risque de ressembler à un désert aride à long terme".