Le procureur fédéral Harald Range lance une enquête pour trahison à l’encontre de deux journalistes. Il leur reproche d’avoir publié au début de l’année des documents secrets de l’Office fédéral de protection de la Constitution (les services de renseignements intérieurs) qui traitaient d’un projet de surveillance massive d’Internet par ces mêmes services secrets.

Le 30 juillet, l’enquête lancée en avril par le procureur est révélée par les médias et des protestations fusent, la presse et les politiques accusant la justice de vouloir la censurer. Le procureur suspend l’enquête et demande une expertise pour savoir si les journalistes ont publié des secrets d’Etat, ce que les experts confirment le 3 août. Le lendemain, le procureur – alors qu’il était à six mois de la retraite – est remercié par le ministre de l’Intérieur.

La presse accusée de trahison : un précédent célèbre

Mais, depuis, le scandale est loin d’être réglé. Cette affaire, qui implique deux rédacteurs du blog d’investigation Netzpolitik, a fait sonner le tocsin dans toute la République fédérale. Car elle rappelle un peu trop une affaire similaire, devenue très célèbre en Allemagne : celle du Spiegel accusé de trahison en 1962, et qui a coûté le poste du surpuissant ministre de la Justice de l’époque, Franz-Josef Strauss.

Aujourd’hui, après le départ du procureur général Harald Range, plusieurs responsables politiques demandent également la démission du patron des services de renseignements intérieurs, Hans-Georg Maassen, qui, lui, est à l’origine des deux plaintes qui ont débouché sur l’enquête contre les journalistes.

Et l’affaire pourrait monter encore plus haut. Une deuxième expertise est en cours pour savoir si la publication des journalistes a effectivement touché ou non un secret d’Etat. Et il reste également la question de savoir à partir de quel moment le ministère de la Justice mais aussi d’autres ministères étaient au courant des enquêtes lancées par le procureur général. Le gouvernement Merkel est prié de s’expliquer sur cette question – et la République est lancée dans un double débat : sur l’indépendance de la justice et celle de la presse.

“Pourquoi les médias auraient-ils le droit d’ébruiter des secrets ?”

“Les débats et les spéculations battent leur plein. Qui réussit à rester en poste, qui échoue ? Qui a le soutien de la chancelière, qui ne l’a pas ? Et ainsi de suite. C’est le creux estival : un abîme de trahison. Mais il ne faut pas oublier le cœur de l’affaire, autrement plus important que toutes ces questions de personnes : il s’agit de la liberté de la presse”, commente le quotidien de gauche Frankfurter Rundschau.

Pour le journal, les deux questions les plus importantes sont les suivantes : “Pourquoi les médias devraient-ils avoir le droit d’ébruiter des secrets des administrations ? Et qui, à une époque qui compte d’innombrables portails d’information et de blogs, a le droit de se sentir protégé par la liberté de la presse ?”

Aux yeux d’un commentaire publié sur le site de l’hebdomadaire Die Zeit, il faut remercier le procureur et les services secrets pour avoir mis la question sur la table : “L’enquête contre Netzpolitik devrait continuer, malgré le limogeage du procureur. Ainsi on pourrait définir une fois pour toutes : quels sont les droits de la presse ? qu’est-ce qui constitue un secret d’Etat ?”

Die Zeit estime dans un autre article qu’il s’agit désormais de sauver le journalisme d’investigation. “Depuis l’affaire de la NSA, il est plus important que jamais que les médias fassent la lumière sur l’activité des services secrets. La publication de documents secrets peut aider. La menacer de sanctions est une erreur. Il faut abandonner la notion de ‘trahison journalistique’.”

Lettre ouverte mondiale

Aux Etats-Unis, le militant de la liberté de la presse Jacob Appelbaum et la journaliste indépendante Marie Gutbub ont publié une lettre ouverte en cinq langues sur le site Netzpolitik.us, spécialement créé pour l’occasion : “Les charges contre Netzpolitik.org et leur source inconnue pour trahison sont une attaque contre la liberté de la presse. La poursuite pour trahison des journalistes qui effectuent un travail essentiel pour la démocratie est une violation du cinquième article de la Constitution allemande. Nous demandons l’arrêt des poursuites contre les journalistes de Netzpolitik.org et leurs sources.”

Pami les signataires se trouvent le fondateur de Wikileaks, Julien Assange, et les journalistes proches du lanceur d’alerte Edward Snowden, Glenn Greenwald et Laura Poitras.