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la femme de Jésus

Comment la femme de Jésus est venue semer sa zone

Pascal Riché | Cofondateur Rue89
 

 

Le recto du papyrus (Harvard.edu)

Le papyrus dit de « l’évangile selon la femme de Jésus » a été authentifié, replongeant tout à coup le monde des ecclésiastiques et des universitaires spécialistes de la religion dans une ambiance digne d’un roman de Dan Brown.

Ce papyrus n’a pas été fabriqué au XVIIIe ou au XIXe siècle, comme beaucoup le supposaient. Mais il ne remonte pas non plus au IIe siècle après Jésus-Christ, comme d’autres l’affirmaient. Les chercheurs qui l’ont analysé le situent plutôt vers le VIIIe siècle.

« Ma femme... »

Ceux qui, souvent non loin du Vatican, avaient crié au faux, sans même attendre de connaître les résultats des analyses scientifiques, vont devoir manger la moitié de leur chapeau (conseil : calotte plutôt que mitre).

Ce tout petit bout de papyrus, large comme la paume d’une main et qui ne comporte que quelques mots, vient bousculer quelques dogmes de l’Eglise, ceux qui touchent au mariage et à la sexualité.

On y lit en effet ce fragment de phrase choc :

« Jésus leur dit : “Ma femme...” »

Ce sont ces mots qui ont donné à ce bout de papyrus son surnom « d’évangile selon la femme de Jésus ».

Cela ne dit rien de Jésus, mais...

Certes, comme le souligne l’universitaire de Harvard, Karen King, qui a la première attiré l’attention sur le papyrus, ces mots ne prouvent aucunement que Jésus avait une femme. On peut aussi bien faire preuve d’imagination au VIIIe siècle (une époque qui, en matière d’évangiles apocryphes, était assez débridée) qu’au XIXe siècle.

Mais le bout de papyrus vient démontrer que le statut marital du Christ n’était pas un sujet tabou parmi les chrétiens de cette époque. Le (prétendu) célibat de Jésus ne s’imposait pas partout.

Le débat sur la virginité, le célibat, la sexualité a pourtant fini par être définitivement refermé, avec pour conséquence de pourrir pendant des siècles la vie sentimentale et sexuelle de millions de prêtres et de moines dans le monde, sans même parler de leur vie parentale interdite.

Venu d’un collectionneur resté anonyme

En décembre 2011, un collectionneur (qui tient à rester anonyme) soumet le document à Karen King, l’historienne de Harvard, spécialiste de la religion.

Elle n’est pas « papyrologiste », ni spécialiste du copte. Mais elle l’étudie, le soumet à un grand spécialiste du monde antique, Roger Bagnall, de l’université de New York University ainsi qu’à une autre experte, AnneMarie Luijendijk, de Princeton. Ils concluent à l’ authenticité du manuscrit, et situent ce type d’écriture au IVe siècle.

Le 18 septembre 2012, King présente cette découverte lors d’une conférence d’experts des études coptes, à Rome. Ses confrères présents font la moue (voire se pincent le nez).

Karen King voulait publier son étude dans la revue théologique d’Harvard, qui a refusé tant que des expertises de l’encre et du papyrus ne seraient pas conduites. Elle a posté sur le site de Harvard la photo du papyrus et un article [PDF] pour commenter la découverte.

Ce que la prof d’Harvard a traduit

Elle livre ce qu’elle a déchiffré. Au recto :

Capture d’écran du déchiffrage du recto

  • 1. ... « pas [à] moi. Ma mère m’a donné la vie... »
  • 2. « ...les disciples dirent à Jésus... »
  • 3. « ...Marie le mérite... »
  • 4. « ...Jésus leur dit : “Ma femme...” »
  • 5. « ...elle sera capable d’être ma disciple... »
  • 6. « Que les méchants gonflent »
  • 7. « Quant à moi, je demeure avec elle afin de »
  • 8. « ...Une image... »
  • 9. ?

Au verso, c’est un peu moins intéressant.

Le verso du papyrus (Harvard)

Capture d’écran du déchiffrage du verso

  • 1. « ... ma mère... »
  • 2. « ... trois »
  • 3. « ... »
  • 4. « selon qui »
  • 5. ?
  • 6. ?
  • 7. ?

Résonances avec l’Evangile selon Thomas

Quelques jours après les révélations de Karen King, L’Osservatore Romano, organe officiel du Vatican, publie un article signé par le spécialiste des études coptes Alberto Camplani ainsi qu’un éditorial du rédacteur en chef Giovanni Maria Vian.

Les deux font état des doutes soulevés dans le monde universitaire sur l’authenticité de ce fragment, acheté sur le marché sans que l’on en connaisse la provenance archéologique précise. Pour eux, il s’agit d’un faux moderne.

Bien d’autres universitaires expriment alors leur conviction qu’il s’agit d’une supercherie récente, pointant les erreurs de grammaire ou les similitudes suspectes avec d’autres textes. Ainsi, l’anglais Francis Watson, spécialiste des évangiles, a vite relevé que les mots du papyrus étaient très proches de ceux que l’on trouve dans l’Evangile selon Thomas.

On retrouve par exemple la phrase « Ma mère m’a donné la vie... » dans le loggion 101 de cet évangile apocryphe.

Des femmes disciples

A l’époque, King avait publié un communiqué pour souligner l’importance de sa découverte :

« La tradition chrétienne affirme depuis longtemps que Jésus n’était pas marié, même si aucune preuve historique sérieuse ne vient soutenir cette thèse. Ce nouvel évangile ne prouve pas que Jésus était marié, mais il nous dit que cette question est née lors de débats virulents sur la sexualité et le mariage.

Depuis le tout début, les chrétiens se sont divisés sur la question de savoir s’il était mieux ou pas de se marier, mais ce n’est qu’un siècle après la mort de Jésus qu’ils ont évoqué le statut marital de celui-ci pour appuyer leurs positions. »

Ce fragment semble être par ailleurs le premier texte dans lequel un Jésus marié affirme que des femmes peuvent être ses disciples.

Mais il restait à démontrer que le papyrus n’était pas l’œuvre de faussaires modernes et à le dater précisément.

Daté au carbone 14 : entre 659 et 859

De multiples tests sont engagés : sur le papyrus lui-même, son oxydation, son encre au charbon, son écriture, sa grammaire... Rien n’est venu renforcer le soupçon d’un faux « moderne », tout pointe vers la période antique. Une datation au carbone 14 situe le papyrus entre 659 et 859. Selon King, on peut le situer entre le VIe et le IXe siècle. Moins intéressant que le IVe siècle, donc, mais ce n’est pas non plus un canular moderne.

La controverse n’est pas pour autant tout terminée. L’égyptologue Leo Depuydt, de la Brown University, maintient qu’il s’agit d’un faux, soulignant que « ma femme » semble écrit en caractère gras, comme pour un effet comique.

« L’effet que cela donne, c’est quelque chose comme : “Ma femme. Tu saisis ? MA femme. T’as bien entendu.” Ce fragment de papyrus semble tombé d’un sketch des Monty Python. »

Le célibat, un débat tardif

Piétà, avec Marie-Madeleine, vers 1530 (Angelo Bronzino/Les Offices, Florence/Wikimedia Commons)

Les passions que soulèvent les mots « ma femme », sur ce bout de feuille, peuvent sembler étranges. Après tout, dans le récit qu’en font les évangiles « officiels », Jésus est entouré de femmes qui le suivent : Marie-Madeleine, bien sûr, mais aussi Jeanne, Suzanne...

Certes, rien ne dit qu’il est marié (ses apôtres sont surpris de le voir en tête à tête avec une femme et il fait l’éloge de ceux qui ont choisi d’être eunuques) mais rien ne prouve non plus de façon absolue qu’il était célibataire (et encore moins vierge).

Seules les lois de la probabilité, à partir de la population des trentenaires, plaident plutôt en faveur ce cette hypothèse.

Par ailleurs, le célibat, comme statut conforme à l’exemple donné par le Christ, a mis du temps à devenir la norme dans l’église. Pierre, le premier évêque de Rome, était un homme marié (Jésus a même soigné sa belle mère).

Le célibat des moines et des prêtres n’a commencé à devenir la règle que tardivement, vers la fin de l’empire romain. Il ne s’est pas imposé tout de suite (au XIIe siècle des conciles cherchent encore à l’imposer et à la fin du moyen âge, de nombreux de prêtres sont encore mariés). Le célibat s’est d’ailleurs mal exporté en Orient : l’église orthodoxe autorise encore aujourd’hui l’ordination des hommes mariés



05/05/2014
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