Dans son dernier essai, John Pilger se demande pourquoi il existe aujourd'hui « une chape de silence renforcée par un consensus de propagande », alors que les deux plus grandes puissances du monde sont au bord du conflit.
Source : Declassified Australia, John Pilger
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Dans son dernier essai publié, John Pilger, qui est décédé samedi 30 décembre 2023, rappelle l'opposition « vibrante » des écrivains et des journalistes à la guerre qui s'annonçait dans les années 1930, et s'interroge sur la raison pour laquelle il y a aujourd'hui « une chape de silence renforcée par un consensus de propagande » alors que les deux plus grandes puissances sont au bord d'un conflit.
En 1935, le Congrès des écrivains américains s'est tenu à New York, suivi d'un autre deux ans plus tard. Ils ont invité « des centaines de poètes, romanciers, dramaturges, critiques, nouvellistes et journalistes » à débattre de « l'effondrement rapide du capitalisme » et de l'imminence d'une nouvelle guerre. Il s'agissait d'événements sous tension qui, selon un compte rendu, ont été suivis par 3 500 membres du public, sachant que plus d'un millier de plus ont été refusés.
Arthur Miller, Myra Page, Lillian Hellman, Dashiell Hammett ont mis en garde contre la montée du fascisme, souvent déguisé, et ont souligné la responsabilité qu'avaient les écrivains et les journalistes de s'exprimer. Des télégrammes de soutien de Thomas Mann, John Steinbeck, Ernest Hemingway, C Day Lewis, Upton Sinclair et Albert Einstein ont été lus.
La journaliste et romancière Martha Gellhorn a pris la défense des sans-abri et des chômeurs, et de « tous ceux qui vivent à l'ombre d'une grande puissance violente ».
Martha, qui est devenue une amie proche, m'a dit plus tard, devant son verre habituel de Famous Grouse et de soda : « La responsabilité que j'ai ressentie en tant que journaliste était immense. J'avais été témoin des injustices et des souffrances engendrées par la dépression, et je savais, nous savions tous, ce qui nous attendait si les silences n'étaient pas brisés. »
Ce sont des silences remplis d'un consensus de propagande qui contamine presque tout ce que nous lisons, voyons et entendons.
Ses mots résonnent dans les silences d'aujourd'hui : des silences remplis d'un consensus de propagande qui contamine presque tout ce que nous lisons, voyons et entendons. Permettez-moi de vous donner un exemple :
Le 7 mars, les deux plus anciens journaux australiens, le Sydney Morning Herald et The Age, ont publié plusieurs pages concernant « la menace imminente » de la Chine. Ils ont coloré l'océan Pacifique en rouge. Les yeux des Chinois sont martiaux, ces derniers sont en mouvement et menaçants. Le péril jaune était sur le point de nous tomber dessus comme sous l'effet de la gravité.
Aucune raison logique n'a été donnée pour justifier une attaque de la Chine contre l'Australie. Un « groupe d'experts » n'a présenté aucune preuve crédible : l'un d'entre eux est un ancien directeur de l'Australian Strategic Policy Institute, une façade pour le ministère de la défense à Canberra, le Pentagone à Washington, les gouvernements britannique, japonais et taïwanais et l'industrie de la guerre occidentale.
« Pékin pourrait frapper d'ici trois ans, ont-ils averti. Nous ne sommes pas prêts. Des milliards de dollars vont être dépensés pour l'achat de sous-marins nucléaires américains, mais il semble que cela ne suffise pas. La période d'absence de l'Australie dans l'histoire est terminée » : quelle qu'en soit la signification.
L'Australie n'est pas menacée, absolument aucune menace. Le lointain pays « chanceux » n'a pas d'ennemis, et surtout pas la Chine, son principal partenaire commercial. Pourtant, le dénigrement de la Chine, qui s'appuie sur la longue histoire de racisme de l'Australie à l'égard de l'Asie, est devenu une sorte de sport pour les « experts » autoproclamés. Qu'en pensent les Australiens d'origine chinoise ? Nombre d'entre eux sont déconcertés et inquiets.
Le dénigrement de la Chine est devenu une sorte de sport pour les « experts » autoproclamés, les auteurs de cette grotesque démonstration de flagornerie et d'obséquiosité à l'égard de la puissance américaine.
Les auteurs de cette grotesque démonstration de flagornerie et d'obséquiosité envers le pouvoir américain sont Peter Hartcher et Matthew Knott, « reporters de la sécurité nationale », je crois que c'est ainsi qu'on les appelle. Je me souviens de Hartcher pour ses escapades payées par le gouvernement israélien. L'autre, Knott, est un porte-parole des costards trois pièces de Canberra. Ni l'un ni l'autre n'a jamais vu une zone de guerre ni ses conditions extrêmes de dégradation et de souffrance humaines..
Comment en est-on arrivé là ? dirait Martha Gellhorn si elle était là. Où sont les voix qui disent non ? Où est la camaraderie ?
Les voix se font entendre sur le samizdat [Le samizdat était un système clandestin de circulation d'écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l'Est, manuscrits ou dactylographiés par les nombreux membres de ce réseau informel, NdT] de ce site web et d'autres. En littérature, les John Steinbeck, Carson McCullers et George Orwell sont obsolètes. Le post-modernisme est désormais aux commandes. Le libéralisme a repris son ascendant politique.
L'Australie, une social-démocratie autrefois somnolente, a promulgué un ensemble de nouvelles lois protégeant le pouvoir secret et autoritaire et empêchant le droit de savoir. Les lanceurs d'alerte sont des hors-la-loi, jugés en secret. Une loi particulièrement sinistre interdit toute « ingérence étrangère » de la part de ceux qui travaillent pour des sociétés étrangères. Qu'est-ce que cela signifie ?
John Pilger a fait du journalisme en adoptant le point de vue des gens. Il est ici à Utopia, dans le Territoire du Nord, d'où son film de 2013 « Utopia » a montré comment les gouvernements australiens négligent encore délibérément les Aborigènes, plus de 200 ans après l'invasion britannique initiale. Son dernier appel dans le film est en faveur « d'un véritable traité qui partage ce riche pays, sa terre, ses ressources et ses opportunités [avec son premier peuple]. Le bénéfice sera alors mutuel, car tant que nous ne leur aurons pas rendu leur statut de nation, nous ne pourrons jamais revendiquer le nôtre » (Photo : Dartmouth Films).La démocratie est désormais une fiction ; il y a l'élite toute puissante de l'entreprise fusionnée avec l'État et les exigences d' « identité ». Les amiraux américains sont payés des milliers de dollars par jour par le contribuable australien pour leurs « conseils ». Partout en Occident, notre imagination politique a été endormie par les relations publiques et distraite par les intrigues de politiciens corrompus et de bas étage : un Johnson ou un Trump, un Sleepy Joe ou un Zelensky.
Aucun congrès d'écrivains en 2023 ne se préoccupe du « capitalisme qui s'effondre » pas plus que des provocations mortifères de « nos » dirigeants. Le plus tristement célèbre d'entre eux, Tony Blair, criminel prima facie selon la norme de Nuremberg [prima facie désigne une preuve qui, à moins d'être réfutée, suffit à prouver une proposition ou un fait précis, NdT], est libre et riche. Julian Assange, qui a mis les journalistes au défi de convaincre leurs lecteurs qu'ils avaient le droit de savoir, entame sa deuxième décennie d'incarcération.
La démocratie est désormais une fiction ; il y a l'élite toute puissante de l'entreprise fusionnée avec l'État et les exigences d' « identité ».
La montée du fascisme en Europe n'est pas contestée. Ou « néonazisme » ou « nationalisme extrême », comme vous préférez. L'Ukraine, ruche fasciste de l'Europe moderne, a vu réapparaître le culte de Stepan Bandera, antisémite farouche et meurtrier de masse qui a fait l'éloge de la « politique juive » d'Hitler, qui a entraîné le massacre de 1,5 million de Juifs ukrainiens. « Nous mettrons vos têtes aux pieds d'Hitler », proclamait un pamphlet banderiste à l'intention des Juifs ukrainiens.
Aujourd'hui, Bandera est vénéré dans l'ouest de l'Ukraine et des dizaines de statues le représentant, lui et ses compagnons fascistes ont été payées par l'UE et les États-Unis, remplaçant celles des géants culturels russes et d'autres personnes qui ont libéré l'Ukraine du joug des premiers nazis.
En 2014, les néo-nazis ont joué un rôle clé dans le coup d'État financé par les États-Unis contre le président élu, Viktor Yanukovych, accusé d'être « pro-Moscou ». Le régime issu du coup d'État comptait d'éminents « nationalistes extrêmes », des nazis en quelque sorte.
Dans un premier temps, la BBC et les médias européens et américains en ont longuement parlé. En 2019, le magazine Time a présenté les « milices suprématistes blanches » actives en Ukraine. NBC News a rapporté : « Le problème nazi de l'Ukraine est réel. » L'immolation de syndicalistes à Odessa a été filmée et documentée.
Emmenée par le régiment Azov, dont l'insigne, le « Wolfsangel », a été rendu tristement célèbre par les SS allemands, l'armée ukrainienne a envahi la région russophone du Donbass, à l'est du pays. Selon les Nations unies, 14 000 personnes y ont été tuées. Sept ans plus tard, les conférences de paix de Minsk ayant été sabotées par l'Occident, comme l'a avoué Angela Merkel, l'Armée rouge a envahi le pays.
Cette version des événements n'a pas fait l'objet de reportages en Occident. Le simple fait de l'évoquer vous expose à des insultes pour « apologie de Poutine », que l'auteur ait ou non condamné l'invasion russe.
Cette version des événements n'a pas été rapportée en Occident. Ne serait-ce qu'en parler, c'est s'attirer les foudres en se faisant traiter d' « apologiste de Poutine », que l'auteur (comme moi) ait ou non condamné l'invasion russe. Comprendre l'extrême provocation que représente pour Moscou un pays frontalier armé par les Nations Unies, l'Ukraine, le même pays frontalier par lequel Hitler a envahi le pays, est un anathème.
Les journalistes qui se sont rendus dans le Donbass ont été réduits au silence, voire traqués dans leur propre pays. Le journaliste allemand Patrik Baab a perdu son emploi et une jeune reporter indépendante allemande, Alina Lipp, a vu son compte bancaire mis sous séquestre.
En Grande-Bretagne, le silence de l'intelligentsia libérale est le silence de l'intimidation. Les dossiers étatiques, telles que l'Ukraine et Israël, doivent être évités si vous voulez conserver un emploi sur le campus ou un poste d'enseignant. Ce qui est arrivé à Jeremy Corbyn en 2019 se répète sur les campus où les opposants à l'Israël de l'apartheid sont traités d'antisémites avec la plus grande désinvolture.
Le professeur David Miller, qui, comble de l'ironie, est la plus grande autorité du pays en matière de propagande moderne, a été licencié par l'université de Bristol pour avoir suggéré publiquement que les actifs d'Israël en Grande-Bretagne et son lobbying politique exerçaient une influence disproportionnée dans le monde entier - un fait attesté par de nombreuses preuves.
L'université a engagé un éminent conseiller de la Reine [Conseiller du roi est un statut honorifique conféré par la Couronne par lettres patentes et reconnu à la cour, NdT] pour enquêter sur l'affaire de manière indépendante. Son rapport a disculpé Miller quant à la « question importante de la liberté d'expression académique » et a conclu que « les commentaires du professeur Miller ne constituaient pas un discours illégal ». Pourtant, Bristol l'a licencié. Le message est clair : quel que soit l'outrage qu'il commet, Israël jouit d'une immunité et ses détracteurs doivent être punis.
Il y a quelques années, Terry Eagleton, alors professeur de littérature anglaise à l'université de Manchester, estimait : « Pour la première fois en deux siècles, il n'existe aucun éminent poète, dramaturge ou romancier britannique qui soit prêt à remettre en question les fondements du mode de vie occidental. »
Aucun Shelley ne s'est exprimé au nom des pauvres, aucun Blake au nom des rêves utopiques, aucun Byron pour dénoncer la corruption de la classe dirigeante, aucun Thomas Carlyle ni John Ruskin qui auraient révélé le désastre moral du capitalisme. William Morris, Oscar Wilde, HG Wells, George Bernard Shaw n'ont aucun équivalent aujourd'hui. Harold Pinter était encore vivant alors, « dernier à faire entendre sa voix », a écrit Eagleton.
D'où vient le post-modernisme - le rejet de la politique réelle et de la dissidence authentique ? La publication en 1970 du best-seller de Charles Reich, « The Greening of America », offre une piste. L'Amérique était alors en plein bouleversement ; Nixon était à la Maison Blanche ; une résistance civile, connue sous le nom de « mouvement », avait surgi des marges de la société au milieu d'une guerre qui touchait presque tout le monde. Alliée au mouvement des droits civiques, elle représentait le défi le plus sérieux lancé au pouvoir de Washington depuis un siècle.
Sur la couverture du livre de Reich, on peut lire ces mots : « Une révolution se prépare. Elle ne sera pas comme les révolutions du passé. Elle trouvera son origine dans l'individu. »
À l'époque, j'étais correspondant aux États-Unis et je me souviens que Reich, un jeune universitaire de Yale, avait été élevé du jour au lendemain au rang de gourou. Le New Yorker avait fait paraître son livre sous forme de feuilleton, le message en était que « l'action politique et l'expression de la vérité » des années 60 avaient échoué et que seules « la culture et l'introspection » seraient à même de changer le monde. On avait l'impression que le mouvement hippie s'emparait des consommateurs. Et dans un sens, c'était le cas.
En l'espace de quelques années, le culte du « moi » a pratiquement supplanté le sens de l'action collective, de la justice sociale et de l'internationalisme de nombre de gens. Les classes, les sexes et les races ont été séparés. Le personnel est devenu politique et les médias sont devenus le message. Faites de l'argent, disait-on.
Quant au « mouvement », à ses espoirs et à ses chansons, les années de Ronald Reagan et de Bill Clinton ont mis fin à tout cela. La police était désormais en guerre ouverte contre les Noirs ; les fameuses lois sur l'aide sociale de Clinton ont battu des records mondiaux en ce qui concerne le nombre de gens qu'elles ont envoyés en prison, Noirs, pour la plupart.
En l'espace de quelques années, le culte du « moi » a pratiquement supplanté le sens de l'action collective, de la justice sociale et de l'internationalisme de nombre de gens. Les classes, les sexes et les races ont été séparés. Ce qui est personnel est devenu politique, et les médias sont devenus le message.
Lorsque le 11 septembre est arrivé, la fabrication de nouvelles « menaces » à la « frontière de l'Amérique » (comme le Project for a New American Century appelait le monde) a achevé de désorienter politiquement ceux qui, 20 ans plus tôt, auraient constitué une opposition véhémente.
Au cours des années qui ont suivi, l'Amérique est entrée en guerre contre le monde entier. Selon un rapport largement ignoré de Physicians for Social Responsibility, Physicians for Global Survival et International Physicians for the Prevention of Nuclear War, lauréat du prix Nobel, le nombre de personnes tuées dans la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis s'élève à « au moins » 1,3 million en Afghanistan, en Irak et au Pakistan.
Ce chiffre ne compte pas les morts des guerres menées et alimentées par les États-Unis au Yémen, en Libye, en Syrie, en Somalie et ailleurs. Le véritable chiffre, indique le rapport, « pourrait bien dépasser les 2 millions [ou] être environ 10 fois supérieur à celui dont le public, les experts et les décideurs ont connaissance et [est] véhiculé par les médias et les principales ONG ».
Selon les médecins, « au moins » un million de personnes ont été tuées en Irak, soit cinq pour cent de la population.
L'énormité de cette violence et de cette souffrance ne semble avoir aucune place dans la prise de conscience occidentale. Le refrain des médias est : « Personne ne sait combien ». Blair et George W. Bush - ainsi que Dick Cheney, Colin Powell, Donald Rumsfeld, Jack Straw, John Howard et consorts - n'ont jamais été sous le coup de poursuites en justice. Le maître de la propagande de Blair, Alistair Campbell, est honoré comme « personnalité médiatique ».
Au moins un million de personnes ont été tuées en Irak, soit 5 % de la population. L'énormité de cette violence et de cette souffrance ne semble pas avoir de place dans la prise de conscience occidentale. Le refrain des médias est : « Personne ne sait combien ».
En 2003, j'ai filmé une interview à Washington avec Charles Lewis, le célèbre journaliste d'investigation. Nous discutions de l'invasion de l'Irak quelques mois plus tôt. Je lui ai demandé : « Et si les médias les plus libres du monde sur le plan constitutionnel avaient sérieusement contesté George W. Bush et Donald Rumsfeld et enquêté sur leurs affirmations, au lieu de diffuser ce qui s'est avéré être de la propagande grossière ? »
Il a répondu : « Si nous, les journalistes, avions fait notre travail, il est fort probable que nous ne serions pas entrés en guerre en Irak. »
J'ai posé la même question à Dan Rather, le célèbre présentateur de CBS, qui m'a fait la même réponse. David Rose, de l'Observer, qui avait soutenu l'idée de la « menace » représentée par Saddam Hussein, et Rageh Omaar, alors correspondant de la BBC en Irak, m'ont donné la même réponse. L'admirable contrition de Rose, qui a été « dupé », a été la voix de nombreux journalistes qui n'ont pas eu le courage de le dire.
Leur point de vue mérite d'être répété. Si les journalistes avaient fait leur travail, s'ils avaient mis en doute et enquêté sur la propagande au lieu de l'amplifier, un million d'hommes, de femmes et d'enfants irakiens seraient peut-être encore en vie aujourd'hui ; des millions de gens n'auraient peut-être pas fui leurs maisons ; la guerre sectaire entre sunnites et chiites n'aurait peut-être pas éclaté, et l'État islamique n'aurait peut-être pas existé.
Cette vérité s'applique aux guerres violentes déclenchées depuis 1945 par les États-Unis et leurs « alliés », et la conclusion est à couper le souffle. Cette question est-elle jamais abordée dans les écoles de journalisme ?
Aujourd'hui, la guerre par médias interposés est une tâche essentielle de ce que l'on appelle le journalisme grand public, qui rappelle celle décrite par un procureur de Nuremberg en 1945 : Avant chaque grande agression, à quelques exceptions près fondées sur l'opportunité, une campagne de presse a été lancée, destinée à affaiblir leurs victimes et à préparer psychologiquement le peuple allemand... Dans le système de propagande... c'est la presse quotidienne et la radio qui ont été les armes les plus importantes.
L'un des courants persistants de la vie politique américaine est un extrémisme sectaire qui se rapproche du fascisme. Bien que Trump en ait été crédité, c'est pendant les deux mandats d'Obama que la politique étrangère américaine a flirté sérieusement avec le fascisme. Cela n'a pratiquement jamais fait l'objet de reportages.
« Je crois en l'exceptionnalisme américain de toutes les fibres de mon être », a déclaré Obama, qui a développé l'un des passe-temps présidentiels favoris, bombardements, et escadrons de la mort connus sous le nom d' « opérations spéciales », comme aucun autre président ne l'avait fait depuis la première guerre froide.
Selon une étude du Council on Foreign Relations, en 2016, Obama a largué 26 171 bombes. Cela représente 72 bombes par jour. Il a bombardé les populations les plus pauvres et les personnes de couleur : en Afghanistan, en Libye, au Yémen, en Somalie, en Syrie, en Irak, au Pakistan.
Trois des meilleurs livres de John Pilger, selon le choix de la rédaction.Chaque mardi, rapporte le New York Times, il choisissait personnellement les personnes qui seraient assassinées par des missiles Hellfire tirés par des drones. Les mariages, les enterrements, les bergers étaient attaqués, ainsi que ceux qui tentaient de ramasser les morceaux de corps qui venaient décorer la « cible terroriste ».
L'un des principaux sénateurs républicains, Lindsey Graham, a estimé, avec satisfaction, que les drones d'Obama avaient tué 4 700 personnes. « Parfois, on frappe des innocents et je déteste cela, a-t-il déclaré, mais nous avons éliminé des membres très importants d'Al-Qaïda ».
En 2011, Obama a déclaré aux médias que le président libyen Mouammar Kadhafi préparait un « génocide » contre son propre peuple. Nous savions [...] que si nous attendions un jour de plus, Benghazi, une ville de la taille de Charlotte [Caroline du Nord], pourrait être le théâtre d'un massacre qui aurait eu des répercussions dans toute la région et aurait entaché la conscience du monde entier.
C'était un mensonge. La seule « menace » était la défaite annoncée des islamistes fanatiques par les forces gouvernementales libyennes. Avec ses projets de renaissance d'un panafricanisme indépendant, d'une banque africaine et d'une monnaie africaine, le tout financé par le pétrole libyen, Kadhafi a été présenté comme un ennemi du colonialisme occidental sur un continent où la Libye était le deuxième État le plus moderne.
Avec ses projets de renaissance d'un panafricanisme indépendant, d'une banque africaine et d'une monnaie africaine, le tout financé par le pétrole libyen, Kadhafi a été présenté comme un ennemi du colonialisme occidental. L'objectif était de détruire la « menace » représentée par Kadhafi et son État moderne.
L'objectif était de détruire la « menace » représentée par Kadhafi et son État moderne. Soutenue par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, l'OTAN a effectué 9 700 sorties contre la Libye. Un tiers d'entre elles visaient des infrastructures et des cibles civiles, a rapporté l'ONU. Des ogives à tête d'uranium ont été utilisées ; les villes de Misurata et de Syrte ont été soumises à un déluge de bombes. La Croix-Rouge a identifié des charniers et l'Unicef a indiqué que « la plupart [des enfants tués] avaient moins de dix ans ».
Lorsque Hillary Clinton, secrétaire d'État d'Obama, a appris que Kadhafi avait été capturé par les insurgés et sodomisé à l'aide d'un couteau, elle s'est esclaffé et déclaré à la caméra : « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort».
Le 14 septembre 2016, la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes à Londres a présenté les conclusions d'une étude menée pendant un an sur l'attaque de l'OTAN contre la Libye, qu'elle a décrite comme un « ensemble de mensonges », y compris l'histoire du massacre de Benghazi.
Les bombardements de l'OTAN ont plongé la Libye dans une catastrophe humanitaire, tuant des milliers de personnes et en déplaçant des centaines de milliers d'autres, transformant la Libye, pays africain au niveau de vie le plus élevé, en un État en déliquescence déchiré par la guerre.
Sous Obama, les États-Unis ont étendu les opérations secrètes des « forces spéciales » à 138 pays, soit 70 % de la population mondiale. Le premier président afro-américain a lancé ce qui s'apparente à une véritable invasion de l'Afrique.
Rappelant la « ruée vers l'Afrique » du XIXe siècle, le commandement américain pour l'Afrique (Africom) a depuis lors mis en place un réseau de supplétifs parmi les régimes africains collaborateurs, avides de pots-de-vin et d'armements américains. La doctrine « de soldat pour soldat » de l'Africom intègre des officiers américains à tous les niveaux de commandement, du général à l'adjudant. Seuls les casques de protection manquent à l'appel.
Trois des meilleurs films de John Pilger, selon le choix de la rédaction.C'est comme si la fière histoire de la libération de l'Afrique, depuis Patrice Lumumba jusqu'à Nelson Mandela, avait été reléguée aux oubliettes par l'élite coloniale noire d'un nouveau maître blanc. La « mission historique » de cette élite, a averti Frantz Fanon, est la promotion d'un « capitalisme rampant même si camouflé ».
L'année où l'OTAN a envahi la Libye, en 2011, Obama a annoncé ce qui est devenu le « pivot vers l'Asie ». Près des deux tiers des forces navales américaines seraient transférées en Asie-Pacifique pour « faire face à la menace chinoise », selon les termes de son ministre de la défense.
Il n'y avait aucune menace de la part de la Chine, par contre il existait bien une menace des États Unis à l'encontre de celle-ci ; quelque 400 bases militaires américaines formaient un arc de cercle le long des régions industrielles de la Chine, ce qu'un fonctionnaire du Pentagone a qualifié avec satisfaction de « nœud coulant ».
La Chine n'était pas une menace, par contre elle était menacée par les États-Unis ; quelque 400 bases militaires américaines formaient un arc de cercle autour des centres industriels de la Chine.
Dans le même temps, Obama a placé des missiles en Europe de l'Est en direction de la Russie. C'est le bienheureux lauréat du prix Nobel de la paix qui a augmenté les dépenses en ogives nucléaires à un niveau plus élevé que celui de toute autre administration américaine depuis la guerre froide, après avoir promis, dans un discours émouvant prononcé dans le centre de Prague en 2009, de « contribuer à débarrasser le monde des armes nucléaires ».
Barack Obama et son administration savaient pertinemment que le coup d'État que sa secrétaire d'État adjointe, Victoria Nuland, avait été chargée de superviser contre le gouvernement ukrainien en 2014 provoquerait une réaction russe et mènerait probablement à la guerre. Et c'est ce qui s'est passé.
J'écris ces lignes le 30 avril, date anniversaire du dernier jour de la plus longue guerre du vingtième siècle, au Viêt Nam, dont j'ai été le reporter. J'étais très jeune lorsque je suis arrivé à Saigon et j'ai beaucoup appris.
J'ai appris à reconnaître le bourdonnement caractéristique des moteurs des B-52 géants, qui larguaient la mort depuis les nuages et n'épargnaient rien ni personne ; j'ai appris à ne pas détourner les yeux face à un arbre carbonisé décoré de restes humains ; j'ai appris à apprécier la gentillesse comme jamais auparavant ; j'ai appris que Joseph Heller avait raison dans son magistral Catch-22 : la guerre ne convient pas aux personnes saines d'esprit ; et j'ai appris ce qu'est « notre » propagande.
Si les propagandistes actuels obtiennent leur guerre contre la Chine, ce ne sera qu'une fraction de ce qui nous attend. Intervenez haut et fort.
Tout au long de cette guerre, la propagande a affirmé que si le Viêt Nam était victorieux sa lèpre communiste se propagerait au reste de l'Asie, permettant ainsi au Grand péril jaune, situé au nord, de s'abattre. Les pays tomberaient comme des « dominos ».
Le Vietnam de Ho Chi Minh a été victorieux et rien de tout cela ne s'est produit. Au contraire, la civilisation vietnamienne s'est épanouie, remarquablement, malgré le prix à payer : trois millions de morts. Sans oublier les mutilés, les infirmes, les drogués, les empoisonnés, les disparus.
Si les propagandistes actuels obtiennent leur guerre contre la Chine, ce ne sera qu'une infime partie de ce qui nous attend. Intervenez haut et fort.
Cet article est reproduit avec l'autorisation de la famille de John Pilger. Il a été écrit avant le début de l'actuelle guerre israélienne contre les Palestiniens de Gaza. Le site web de John Pilger - www.johnpilger.com - contient cet article et bien d'autres encore, dans une immense collection de ses principaux ouvrages publiés, y compris des liens vers ses remarquables films qui peuvent être visionnés gratuitement ici.
John Pilger
JOHN PILGER était un journaliste australien qui, pendant plus de 50 ans, a dénoncé les injustices du capitalisme et la tyrannie de l'impérialisme occidental, depuis le Cambodge et du Viêt Nam jusqu'au Timor oriental et à la Palestine, et au-delà, même au sein du Royaume-Uni et de l'Australie. Il a demandé des comptes aux agences de renseignement, aux généraux et aux gouvernements qui dirigent le monde à leur manière. John a donné une voix à ceux qu'on n'entend pas, aux indigènes, aux pauvres, aux gens de territoires occupés, aux déplacés - et a donné de l'espoir, du courage et de la solidarité à la famille internationale des militants des droits humains et de la justice. Ses archives journalistiques peuvent être consultées à l'adresse suivante : www.johnpilger.com Voir tous les articles de John Pilger
Source : Declassified Australia, John Pilger, 01-01- 2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises