50 000 morts qui n’intéressent pas la « Communauté internationale les Hommes ne sont pas égaux
Sud Soudan : Ces 50 000 morts qui n’intéressent pas la « Communauté internationale » !
24 août 2015
Même morts, les Hommes ne sont pas égaux ! La preuve ? Dans une indifférence suspecte et un silence complice des grands médias et des leaders d’opinion, plus de 50 000 personnes sont mortes au Soudan du Sud depuis décembre 2013. La tragédie se poursuit. Le silence aussi. Et pourtant, pour 2500 fois moins de morts dans les locaux de Charlie Hebdo à Paris (janvier 2015) ou à Charleston aux USA (juin 2015), le monde s’est mobilisé, à juste titre. Plusieurs Présidents africains sont allés témoigner, à côté de François Hollande, leur soutien au peuple français meurtri. Les Sud-Soudanais n’en demandent pas plus. Car, morts ou vivants, ils sont des êtres humains et méritent eux aussi l’attention de la Communauté internationale !
Photo DR
Publiées mi-juin 2015, les pages du rapport du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (Unicef) consacrées au Soudan du Sud font froid dans le dos. En feuilletant ce document plein de chiffres et de témoignages effroyables, on a l’impression d’être en train de marcher sur des corps sans vie qui, miraculeusement, crient à l’injustice pré et post mortem ! Plus de 50 000 personnes auraient ainsi perdu la vie depuis le début du conflit, indiquent plusieurs sources. Ce sont pour la plupart des civils.
L’Onu parle des fillettes d’à peine 8 ans qui ont été violées avant d’être égorgées ! 4,6 millions de personnes manquent gravement de nourriture. "Des millions de personnes au Soudan du Sud sont piégées par un conflit brutal, par la faim et une crise économique qui empire", a résumé la directrice du Programme Alimentaire Mondial (PAM) pour le pays, Joyce Luma. « Un enfant sur trois est sévèrement sous-alimenté et 250.000 enfants risquent de mourir de faim », prévient le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA). Pour venir en aide à cette population désemparée, l’organisme a besoin d’environ 1,63 milliard de dollars US (1,43 milliard d’euros) pour terminer l’année.
La dernière décision d’envergure prise par l’ONU sur ce conflit remonte au début de l’année dernière. Face à l’exacerbation des atrocités enregistrées dès le premier mois du conflit (janvier 2014), le Conseil de sécurité avait adopté à l’unanimité de ses membres une résolution qui faisait passer les effectifs militaires de la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (Minuss) à 12 500 soldats. Et puis, plus rien ou presque. Pour faire bonne figure, le Conseil de sécurité a adopté le 3 mars 2015 la résolution 2206 donnant aux deux parties un ultimatum concernant l’embargo sur les armes et autres sanctions si le combat ne cessait pas. Sans surprise, les combats n’ont pas cessé et rien n’a été fait par les Etats membres du Conseil de sécurité pour obliger les parties belligérantes à déposer les armes. La raison est toute simple : la guerre profite à Israël, allié stratégique des USA et de ses vassaux capitalistes. [1]
L’OTAN, qui est si souvent prompte à déployer des milliers de soldats pour « protéger les civils », « éviter les crimes contre l’humanité », reste inactive. Le fameux « droit d’ingérence humanitaire » et son pendant : la « guerre préventive » n’ont pas été évoqués pour ce cas-ci.
Une guerre qui tue les populations, mais protège le pétrole…
La carte du conflit au Sud Soudan correspond exactement à celle des champs pétroliers du pays, comme l’indique la carte ci-dessous.
Le conflit encercle les zones pétrolifères.
On se rappelle que, dans la nuit du 15 au 16 décembre 2013, les affrontements commencèrent à Djouba, la capitale du pays. Mais, rapidement, ils se sont dirigés vers les Etats fédérés de Jonglei, du Nil supérieur et de l’Unité, situés dans le Nord et le Nord-est du pays. Ces trois Etats ont un dénominateur commun : la production pétrolière. Et « le secteur pétrolier est le principal contributeur au PIB du Soudan du Sud, représentant 60 %. La part des recettes pétrolières a représenté environ 98 % des dépenses publiques pendant des années », renseigne le rapport de la Banque africaine de développement publié en octobre 2012, intitulé « Document de stratégie pays intérimaire 2012-14 ».
Au Sud Soudan, les Etats fédérés producteurs de pétrole constituent donc le « pays utile ». Le fait que les combats entre les hommes de Salva Kiir et ceux de Riek Machar se soient concentrés dans les Etats de Jonglei, du Nil supérieur et de l’Unité est la preuve irréfutable de ce que le pétrole constitue la principale pomme de discorde entre les deux hommes forts du pays.
Il se trouve que le mandat de Salva Kiir s’achève en 2018. S’étant frotté au pouvoir et sachant donc que le Soudan du Sud vit essentiellement des revenus du pétrole, l’ancien vice-président Riek Machar n’entend plus être une victime résignée, ni un observateur passif du pompage du pétrole par son rival Salva Kiir. M. Riek veut lui aussi profiter de la manne pétrolière avant l’assèchement des puits prévu pour 2018 par la Banque africaine de développement dans un rapport publié en octobre 2012. « Derrière le conflit […] s’en cache un autre, [celui du] contrôle des matières premières. Il ne faut pas être dupe », ironise Alain Chevalérias dans son article intitulé « Deux Soudans et un conflit ».
Pour Riek Machar, le pétrole passe avant le fauteuil présidentiel
Pour justifier le déploiement de l’artillerie lourde, le président Salva Kiir a évoqué une tentative de coup d’Etat. « On a découvert qu’il s’agissait d’un complot mené par Riek Machar, l’ancien vice-président » qui « se serait réfugié à l’ambassade des Etats-Unis », a détaillé Suzanne Jambo au micro de Radio France international (Décembre 2013). Vrai ou faux ? Difficile de trancher.
Par contre, ce qui est certain c’est que Riek Machar et ses hommes se sont montrés plus intéressés par les zones pétrolifères que par la capitale qui abrite pourtant la présidence de la République. Or officiellement, M. Kiir et M. Machar se batte pour le contrôle de celle-ci. Riek Machar et ses hommes veulent-ils d’abord prendre possession du « pays utile » avant de s’emparer de la capitale Djouba qui, dans tous les cas, ne vit que grâce à la manne pétrolière venue du « pays utile » ? Tout semble l’indiquer. « La guerre c’est le plan », dit l’adage.
L’autre curiosité de ce conflit est que les combats, intenses dans les zones pétrolifères citées plus haut, n’ont pas touché les installations pétrolières. Bien plus, les hommes de Riek Machar qui ont pris et tenu la ville de Bor pendant des jours ne s’en sont pas pris à ses installations pétrolières. Vous le constatez, au Soudan du Sud, les guerriers tuent les humains, mais protègent le pétrole !
Pourquoi tant de mort dans le plus jeune Etat du monde ?
Dans les quelques rares médias qui l’évoquent, la guerre au Soudan du Sud a une seule explication : l’affrontement ethnique. « L’ethnie Neur de l’ex vice-président Riek Machar s’oppose, armes au poing, à l’ethnie Dinka dont est issu le président Salvar Kiir », assène la propagande de guerre.
Evoquer une opposition entre les ethnies Neur et Dinka suffit-il pour expliquer voire justifier cette guerre outrancièrement meurtrière ? Les faits ne permettent pas de répondre par l’affirmative.
De prime abord, il faut rappeler que le Soudan du Sud est une mosaïque d’ethnies. Outre les Dinka et les Nuers, on y retrouve les Murle, les Zandés, les Acholis, les Lotuko, etc. Pourquoi seulement deux de ces nombreuses ethnies qui constituent la population du pays auraient-elles décidé de prendre les armes pour s’entretuer ? Si tant est qu’il s’agit uniquement d’une guerre ethnique, pourquoi les autres ethnies ne s’y sont-elles pas engagées ?
Bien plus, depuis l’Accord de paix global (APG) de janvier 2005 et ce jusqu’en juillet 2013 date de son limogeage, le Neur Riek Machar a été l’adjoint du Dinka Salvar Kiir. Les deux hommes ont été de très proches collaborateurs et ont travaillé pendant huit ans sans qu’on ne parle d’un affrontement ethnique. Doit-on comprendre que ce n’est qu’en juillet 2013 que Riek Machar a découvert ses origines Neur ? Quand bien même ce serait le cas, il faut bien une raison pour qu’il déclare la guerre aux autres. Sauf à croire que les Neur ont le gène de l’agressivité sans cause inscrit dans leur patrimoine génétique.
Le problème sud-soudanais est politique et non ethnique
Dans les guerres africaines, la dimension ethnique et/ou religieuse est très fréquemment évoquée pour occulter les véritables enjeux des affrontements. En Côte-d’Ivoire, les « spécialistes des questions africaines » ont très vite trouvé ce qu’ils ont présenté comme la cause de la guerre : opposition des chrétiens soutenant Laurent Gbagbo contre les musulmans soutenant Alassane Ouattara. Ces « spécialistes » ont résumé la guerre en République centrafricaine à un affrontement entre les musulmans de la Séléka aux ordres du musulman Michel Djotodia, l’ex président de transition, contre les chrétiens Antibalaka commandés depuis son exil par l’ex président-pasteur François Bozizé. « C’est tout juste un conflit confessionnel », a-t-on entendu çà et là. Aucune allusion aux nombreuses ressources du sol et du sous-sol (diamant, or, bois, pétrole…) du pays que certaines puissances étrangères et leurs relais locaux voulaient exploiter.
Au Soudan du Sud, la déchirure entre les deux hommes forts a vu le jour en juillet 2013 lorsque Riek Machar a exprimé ouvertement sa volonté de se porter candidat à l’élection présidentielle de cette année 2015. Le 23 juillet, le président Kiir a limogé son vice-président Machar et son gouvernement. Précision utile, tout le gouvernement ainsi limogé n’était pas uniquement constitué de Neur. Et depuis le 15 décembre, sur le champ de guerre, les combats ne respectent pas le clivage Dinka contre Neur !
Soudan du Sud, un Etat né des appétits pétroliers
Avec ses 12 millions d’habitants établis sur 644 329 km2, ce qui est aujourd’hui la République du Soudan du Sud était une partie intégrante du Soudan. Le grand Soudan était dirigé par un certain Omar El Béchir. L’homme gouvernait ce pays continent avec ses forces et ses faiblesses. Il est arrivé au pouvoir après un coup d’Etat. Mais, il a surtout décidé que les nombreuses quantités de pétrole produites dans son pays, le plus vaste d’Afrique, n’iront plus exclusivement en Occident, ni les réserves exploitées par les seules entreprises occidentales.
Pour joindre l’acte à la parole, El Béchir intègre les Chinois dans l’exploitation du pétrole soudanais. La chasse aux sorcières commence. Après la sanglante guerre du Darfour, Omar El Béchir est accusé d’avoir commis des crimes de guerre et ordonné un génocide en tant que chef des armées. La Cour pénale internationale (CPI) a aussitôt délivré un mandat d’arrêt international contre le président soudanais. Mais l’homme ne cède pas.
Pendant que la CPI maintient la pression sur El Béchir, les Chinois continuent à pomper le pétrole, au grand dam des Occidentaux qui sont mis au ban par un président qui ne les porte plus dans son cœur et vice-versa. Pis, les autres chefs d’Etats africains décident de ne pas coopérer avec la Cour pénale internationale pour arrêter le président soudanais. La dernière preuve de cette non-coopération a été administrée mi-juin dernier par les autorités sud-africaines. En effet, Omar El Béchir s’est rendu à Johannesburg pour prendre part au Sommet des chefs d’Etat de l’Union Africaine. Malgré les appels de la procureure de la CPI et de certaines ONG, qui demandaient que le Président sud-africain fasse arrêter El Béchir, Jacob Zuma est resté de marbre. Et après avoir posé sur la photo de famille, entouré de ses pairs, le Président soudanais a quitté l’Afrique du Sud en homme libre pour rejoindre son pays.
Bref, après avoir usé de la pression de la justice internationale sans succès, il ne restait plus qu’une seule option : créer un nouvel Etat et mettre à sa tête, un homme malléable. L’objectif est atteint en juillet 2011 et Salva Kiir, l’homme au chapeau de cow-boy devient Président du dernier Etat de la planète : la République du Sud Soudan. Ce 54ème Etat africain va bénéficier de la plus grande bienveillance de la « Communauté internationale ». Une semaine après son indépendance, le 14 juillet 2011, Joseph Deiss, président de l’Assemblée des Nations unies déclare, après un vote par acclamation que « la République du Soudan du Sud est officiellement le 193e État membre de l’ONU ». Le 27 juillet 2011, le Soudan du Sud devient membre de l’Union africaine. Le 18 avril 2012, il devient le 188e pays membre du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. Un record de célérité dans les procédures d’adhésion !
Dans son empressement, la « Communauté internationale » n’a même pas jugé nécessaire d’attendre que le nouvel Etat règle définitivement le problème de ses frontières avec ses voisins pour qu’on l’admette dans le concert des nations. Jusqu’à présent, Khartoum et Djouba se disputent les zones comme le Nil-Bleu, le Kordofan du Sud et la région d’Abiyé, (actuellement sous l’autorité de Khartoum). Au Sud, le Triangle d’Ilemi, toujours administré par le Kenya, est revendiqué par le Soudan du Sud. Autant de différends non réglés qui, à tout moment, peuvent replonger le plus jeune Etat de la planète dans une guerre sans fin. Les hommes politiques et leurs « spécialistes » s’empresseront de parler de…conflit ethnique.
Il est question pour la communauté internationale de prouver sa sincérité. Il y a quatre ans, elle s’est activée pour, disait-elle, sauver les populations sud-soudanaises de la dictature de Khartoum, dirigée par le présumé génocidaire Omar El Béchir. La solution retenue a été la proclamation de l’indépendance d’un nouveau pays. Si l’activisme des grandes puissances ne cachait pas d’autres desseins, il est grand temps qu’elles se mobilisent à nouveau pour sauver les 4,6 millions de Sud-Soudanais aujourd’hui menacés de famine. Pour les populations concernées, c’est une question de vie ou de mort.
Source : Le Journal de l’Afrique, Investig’Action.
Note : [1] voire l’article "L’histoire mal connue des exportations militaires israéliennes vers le Sud-Soudan"
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