Déclaration de Benazir Bhutto au sujet de la mort d’Oussama Ben Laden
Posté par AtMOH le 01/01/2008
Dans une interview du 2 novembre 2007 à David Frost, journaliste vedette à Al-Jazira, Benazir Bhutto affirme - en passant - qu’Oussama Ben Laden a été assassiné par Omar Sheikh, un agent de l’ISI pakistanaise qui joua un rôle-clé dans les attentats du 11-Septembre. Cette déclaration stupéfiante, à prendre avec beaucoup de précaution, soulève de très nombreuses questions, qui risquent bien de ne jamais être résolues. ( un article de Taîké Eilée)
Le 27 décembre 2007, l’ex-Premier ministre du Pakistan Benazir Bhutto trouvait la mort dans un attentat-suicide, dont les commanditaires n’ont pas pu être encore clairement identifiés. Le 18 octobre dernier, jour de son retour au Pakistan après huit années d’exil, elle était déjà la cible d’un attentat-suicide dont elle sortait miraculeusement indemne. Entre ces deux attaques, le 2 novembre, elle avait accordé une interview à David Frost sur Al-Jazira, où elle avait désigné les possibles responsables de l’attentat du 18 octobre ; selon elle, ils pouvaient provenir d’un "gang du seigneur de guerre afghan Baitullah Mehsud, ou d’Hamza Ben Laden, le fils d’Oussama Ben Laden, ou des taliban pakistanais à Islamabad, ou d’un groupe à Karachi."
Elle poursuivait : "J’ai renvoyé une lettre [au président Pervez Musharraf] disant que tant que ces groupes pourraient être utilisés, je pensais qu’il était plus important de rechercher les gens qui les soutiennent, qui les organisent, qui peuvent être les financiers, ou les organisateurs du financement de ces groupes, et j’ai nommé trois individus dont je pensais qu’ils pouvaient être leurs sympathisants." David Frost demande alors des précisions sur ces trois individus ; il veut savoir s’ils peuvent avoir partie liée avec le gouvernement pakistanais. C’est là que Benazir Bhutto lance : "Oui, l’un d’eux est un personnage très important [a very key figure] dans la sécurité. Il est un ancien officier militaire. C’est quelqu’un qui a été impliqué avec le Jaish-e-Mohammed, l’un des groupes de Maulana Azhar, qui était dans une prison indienne pour avoir décapité trois touristes britanniques et trois touristes américains, et il a aussi été impliqué avec Omar Sheikh, l’homme qui a assassiné Oussama Ben Laden".
La déclaration sensationnelle est la dernière : Ben Laden serait mort, et son meurtrier serait Omar Sheikh. Une déclaration qui ne doit pourtant pas en cacher une autre : cette allusion à cet "ancien officier militaire" impliqué avec le Jaish-e-Mohammed et Omar Sheikh, et que Benazir Bhutto soupçonnait de vouloir l’assassiner.
Oussama, es-tu là ?
La première déclaration - commençons évidemment par elle - est sidérante. D’abord, Ben Laden serait mort. Cette mort a déjà été annoncée, et démentie, quantité de fois. La dernière, c’était le 23 septembre 2006 ; le quotidien L’Est républicain publiait alors ce qui était présenté comme une information des services de sécurité saoudiens, transmise à la Direction générale des services extérieurs (DGSE), selon laquelle Ben Laden avait contracté "une très forte crise de typhoïde" alors qu’il se trouvait au Pakistan, et y aurait succombé le 23 août 2006.
Mais Benazir Bhutto précise cette fois-ci que Ben Laden aurait été tué par Omar Sheikh. Or, cet individu, que d’aucuns présentent comme le "fils préféré" de Ben Laden - et qui est connu pour son rôle dans le financement du 11-Septembre (il transféra 100 000 dollars à Mohammed Atta, le leader des kamikazes, sur les ordres du chef de l’ISI Mahmoud Ahmad) et aussi dans l’enlèvement et le meurtre du journaliste Daniel Pearl - est incarcéré au Pakistan depuis février 2002. Ce qui signifierait qu’il aurait tué Ben Laden avant cette date, et que ce dernier serait donc mort depuis près de six ans !
De nombreuses sources avaient, il est vrai, annoncé à cette époque la possible ou probable mort d’Oussama Ben Laden : le président américain George W. Bush lui-même, selon le Telegraph du 27 décembre 2001, le président pakistanais Pervez Musharraf sur CNN, le 18 janvier 2002 (qui évoquait sa maladie des reins), le New York Times du 11 juillet 2002 (qui précisait que la mort remontait à décembre 2001 et que le chef d’Al-Qaïda était enterré dans les montagnes du sud-est de l’Afghanistan), le FBI, selon BBC News du 18 juillet 2002, ou encore le président afghan Hamid Karzaï sur CNN, le 7 octobre 2002. Le Pakistan Observer (cité par Fox News) et le quotidien égyptien Al-Wafd, avaient même rapporté, le 26 décembre 2001, ses funérailles ; un important officiel taliban y affirmait que le Saoudien était mort, naturellement et calmement, dix jours auparavant, des suites de graves problèmes pulmonaires.
Une mort probable... à un témoignage près
Les problèmes de santé, notamment rénaux, d’Oussama Ben Laden sont connus depuis longtemps ; un membre de l’administration Bush, réagissant aux propos de Musharraf de janvier 2002, confia ainsi que le chef d’Al-Qaïda avait besoin d’une dialyse des reins tous les trois jours (même si d’autres officiels américains ne voyaient dans ces problèmes rénaux qu’une "rumeur récurrente"). Le 28 janvier 2002, CBS avait rapporté que, le 10 septembre 2001, Ben Laden se faisait soigner dans un hôpital militaire à Rawalpindi pour une dialyse des reins, escorté par l’armée pakistanaise. Le 2 juillet 2001, un quotidien indien affirmait que "Ben Laden, qui souffre de déficience rénale, a régulièrement été placé sous dialyse dans un hôpital militaire de Peshawar alors que l’Inter-Services-Intelligence (ISI) en avait connaissance et l’approuvait, voire avec l’accord [du président pakistanais] Musharraf lui-même". La lettre d’information Jane’s Intelligence Digest du 20 septembre 2001 allait dans le même sens : "Les autorités pakistanaises ont apporté des soins médicaux au souffrant Ben Laden, notamment des dialyses rénales, dans un hôpital militaire de Peshawar." Et l’on se souvient du fameux séjour de Ben Laden à l’hôpital américain de Dubaï, du 4 au 14 juillet 2001, dans le département d’urologie du Dr Terry Callaway, spécialiste des calculs rénaux, où il avait reçu la visite, le 12 juillet, du chef d’antenne locale de la CIA, Larry Mitchell (Le Figaro et RFI, 31 octobre 2001).
Que conclure de tout cela ? Que Ben Laden est mort assassiné ? Ou alors des suites de sa maladie ? Ou encore (coup de théâtre !), qu’il n’est pas mort du tout, mais bien vivant ? Car une information vient contredire tous les indices de sa disparition en décembre 2001. Il s’agit du témoignage des soldats français du COS (Commandement des opérations spéciales) en Afghanistan, que nous rapportent les grands reporters Eric de Lavarène et Emmanuel Razavi dans leur documentaire Ben Laden, les ratés d’une traque (20 minutes). A six mois d’intervalle, ils auraient, en effet, eu Ben Laden à portée de tir, sans recevoir le feu vert des Américains pour agir. Un soldat français déclare : "Je peux en attester : en 2003 et en 2004, nous avions Ben Laden dans la lunette." Les soldats français ont-ils pu se méprendre sur la personne ? Ou leur témoignage est-il décisif ? Selon Infosoir du 22 décembre 2006, les deux journalistes ont interrogé quatre soldats français des forces spéciales qui ont tous donné la même version des faits.
L’intervention de Benazir Bhutto, on le voit, soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. Certains ont suggéré - ce qui résoudrait en effet le problème - que la langue de l’ancienne Premier ministre a fourché ; au lieu de dire "Omar Sheikh, l’homme qui a assassiné Oussama Ben Laden", elle aurait voulu dire : "Omar Sheikh, l’homme qui a assassiné Daniel Pearl". Cette hypothèse a sa pertinence, d’autant qu’un mois avant cet entretien, le 2 octobre 2007, Benazir Bhutto avait émis le souhait de partir à la recherche de Ben Laden, seule ou avec l’aide de l’armée américaine. Si seulement David Frost avait bondi, comme aujourd’hui beaucoup d’internautes, à l’écoute de cette déclaration tonitruante, pour demander une mise au point, nous ne serions pas dans ce flou. Nous ne saurons jamais ce que Bhutto a voulu dire. Il paraît cependant peu probable qu’elle ait voulu lancer un tel scoop, l’air de rien, en passant, avec une telle nonchalance ; le lapsus semble, à première vue, l’hypothèse la plus crédible. Ce qui ne nous renseigne en rien sur l’état actuel de Ben Laden... soit dit en passant.
Portrait-robot de l’assassin
Mais revenons à l’autre information d’importance que contient l’intervention de Benazir Bhutto. Celle qui décrit, sans le nommer, le possible commanditaire de l’attentat du 18 octobre et, peut-être aussi, de son futur assassinat : "un personnage très important dans la sécurité", "un ancien officier militaire", "quelqu’un qui a été impliqué avec le Jaish-e-Mohammed, l’un des groupes de Maulana Azhar", et qui a aussi été impliqué "avec Omar Sheikh".
Pour tenter de déchiffrer ces quelques lignes, lisons-les à la lumière d’un article fondamental que Paul Thompson, l’auteur de la base documentaire Complete 9/11 Timeline, a consacré à Omar Sheikh (et à l’ISI). En voici un premier passage : "Au début de l’année 2000, Saïd [Omar Saeed Sheikh] et l’ISI ont aidé Azhar à former un groupe terroriste, le Jaish-e-Mohammed, et Azhar se retrouva rapidement derrière des actes terroristes, essentiellement au Cachemire. Lors de ses nombreuses attaques, le Jaish-e-Mohammed a travaillé avec l’ISI, Saïd et Azhar. Par exemple, peu après l’attentat à la bombe d’octobre 2001 au Cachemire, les services de renseignements indiens ont soutenu que le président pakistanais Musharraf avait reçu un enregistrement d’un appel téléphonique entre le chef du Jaish-e-Mohammed, Maulana Massoud Azhar et le Directeur Mahmoud [Mahmoud Ahmad], dans lequel Azhar rapportait que l’attaque à la bombe avait été un "succès"." A en croire Thompson, qui se base uniquement sur des articles de presse, le Jaish-e-Mohammed marchait donc main dans la main avec l’ISI. Quant à Omar Sheikh, il coopérait avec l’un et l’autre (comme d’ailleurs avec Al-Qaïda).
Voici un deuxième passage de l’article de Thompson : "[Omar Sheikh] travaillait pour Ijaz Shah, un ancien fonctionnaire de l’ISI qui s’occupait de deux groupes terroristes, pour le général de corps d’armée Mohammed Aziz Khan, lui aussi un ancien chef-adjoint de l’ISI en charge des relations avec le Jaish-e-Mohammed, et pour le général de Brigade Abdulhah, un ancien officier de l’ISI." S’il est difficile d’identifier clairement la personne à laquelle pensait Benazir Bhutto, il ne fait pas grand doute qu’il s’agissait d’un membre de l’ISI. Ils sont quelques-uns à répondre aux critères énoncés par l’ex-Premier ministre : Mahmoud Ahmad (évoqué dans le premier passage) est un ancien officier militaire (général de corps d’armée et chef de l’ISI), dont on dit qu’il a été lié avec Maulana Azhar dans une opération terroriste au Cachemire, et qui est aussi très largement soupçonné d’avoir financé les pirates du 11-Septembre, par l’entremise justement d’Omar Sheikh. Mais il n’est plus aujourd’hui un personnage-clé dans la sécurité ; depuis le 30 avril 2003, il est le PDG de la Fauji Fertilizer Company. Ijaz Shah semble mieux correspondre au portrait-robot dressé par Benazir Bhutto : ancien général de brigade et membre de l’ISI, connu pour ses liens avec les terroristes, c’est à lui que s’était secrètement rendu Omar Sheikh le 5 février 2002, lorsque son rôle dans l’enlèvement de Daniel Pearl avait été découvert. Shah l’avait alors retenu et briefé durant toute une semaine, avant de le remettre à la police pakistanaise. Mohammed Aziz Khan, remarquons-le, aurait aussi le bon profil, fortement lié à la fois à Omar Sheikh et au Jaish-e-Mohammed...
Le lourd bilan de l’ISI
Si l’ISI était impliquée dans l’assassinat de Benazir Bhutto, l’addition commencerait à être sévèrement corsée pour l’agence gouvernementale pakistanaise... dont l’implication a déjà été évoquée dans l’assassinat du commandant Massoud le 9 septembre 2001 (par l’Alliance du Nord : "Ahmed Shah Massoud a été la cible d’une tentative d’assassinat organisée par l’ISI pakistanaise et Oussama Ben Laden") ; puis, dans le financement du 11-Septembre, via son directeur Mahmoud Ahmad, voire dans l’organisation même des attentats, via un ancien chef de l’ISI, Hamid Gul (selon le Washington Times du 23 juillet 2004, qui relayait un document émanant d’une source haut placée au Pakistan : "L’ISI était pleinement impliquée dans la conception et le soutien de toute l’affaire [...]. J’ai des raisons de penser qu’Hamid Gul était le cerveau d’Oussama Ben Laden") ; et encore, dans l’attentat-suicide raté de Richard Reid (selon Roland Jacquard et Atmane Tazaghart dans Le Figaro du 20 juillet 2007 : "Ce membre de l’ISI [Khalid Khawaja] est celui qui servait d’instructeur pour les explosifs dans les camps d’al-Qaida, notamment à Shakar Dara. C’est lui qui avait manipulé Richard Reid, cet Anglais qui avait essayé de faire exploser l’avion du vol Paris-Miami le 22 décembre 2001 à l’aide d’explosifs cachés dans ses chaussures") ; enfin, dans l’enlèvement, le 23 janvier 2002, et la décapitation de Daniel Pearl, qui, précisément, enquêtait sur les liens entre Richard Reid et Al-Qaïda, et "sur ceux qui avaient commandité l’attentat" de Reid (c’est-à-dire l’ISI, selon Le Figaro...). Sans parler de l’inquiétante menace lancée, le 22 juillet 1999, à l’endroit des Twin Towers par l’agent de l’ISI Rajaa Gulum Abbas ("Ces tours-là vont s’écrouler"), et qu’avait rapportée l’agent secret Randy Glass à plusieurs officiels américains bien avant le 11-Septembre...
Benazir Bhutto n’a peut-être fait qu’un maladroit lapsus au sujet de la mort d’Oussama Ben Laden. Mais ce lapsus était probablement plus révélateur qu’il n’y paraissait au premier abord, car en tissant un lien, même inconsciemment, entre ses agresseurs (et futurs assassins) et les commanditaires du 11-Septembre, elle visait sans doute juste. Où que l’on regarde dans ces histoires, tout converge toujours vers l’ISI. L’étau se resserre. Une question, lourde et insistante, demeure en suspens : pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils, à ce jour, jamais pris la moindre sanction vis-à-vis du Pakistan et des agents de l’ISI manifestement impliqués dans tous ces crimes ? Pourquoi le silence gêné de Condoleezza Rice, celui de Thomas Kean (Loose Change Final Cut, 15e minute) et de Lee Hamilton, président et vice-président de la Commission d’enquête sur le 11-Septembre, lorsqu’on leur demande de réagir à la visite officielle de Mahmoud Ahmad à Washington dans la semaine des attentats, et sur le transfert de 100 000 dollars en direction de Mohammed Atta qui lui est attribué par différents journaux de renom, dont le Wall Street Journal ? A quoi joue l’administration Bush depuis le 11-Septembre, et peut-être même avant ? La question mérite enfin d’être posée. Avec insistance.
Pour plus d’information sur Omar Saeed Sheikh et l’ISI, lire l’article de Paul Thompson Les nombreux visages de Saïd Cheikh : il vous plonge réellement dans des abîmes de perplexité...
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