Ferdinand Ossendowski - la famine, la destruction, la mort de la civilisation, de la gloire, de l’honneur, la mort des nations, la mort des peuples.
Pascal Balmès
· Entretien avec un Kshatriya ... A présent, je vais vous parler de moi, dit le baron Ungern Von Sternberg, et vous saurez qui je suis. Mon nom est entouré de tant de haine et de terreur que nul ne peut distinguer le vrai du faux, l’histoire de la légende. Un jour vous écrirez un livre, vous vous rappellerez votre passage en Mongolie et votre séjour dans la yourta du « général sanguinaire » Il ferma les yeux, précipitant ses phrases nerveusement, sans les achever, comme si on ne lui en laissait pas le temps. La famille des Ungern von Sternberg est ancienne : elle provient d’un mélange d’Allemands et de Hongrois, des Huns du temps d’Attila. Mes ancêtres guerriers prirent part à toutes les guerres européennes. On les vit aux croisades : un Ungern fut tué sous les murs de Jérusalem, où il combattait dans les troupes de Richard Cœur de Lion.
La tragique croisade des enfants, elle-même, fut marquée par la mort de Raoul Ungern, à l’âge de onze ans. Quand les plus hardis guerriers du pays furent envoyés sur les frontières orientales de l’empire germanique, contre les Slaves, au douzième siècle, mon ancêtre Arthur était avec eux : c’était le baron Halsa Ungern Sternberg. Ces chevaliers des marches frontières formèrent l’ordre teutonique des Chevaliers moines qui, par le fer et par le feu, imposèrent le christianisme parmi les populations païennes, Lituaniens, Estoniens, Livoniens et Slaves. Depuis lors l’ordre des Chevaliers teutoniques a toujours compté parmi ses membres des représentants de notre famille. Quand l’ordre teutonique disparut dans le Grünewald, sous les coups des troupes polonaises et lituaniennes, deux barons Ungern von Sternberg furent tués dans la bataille. Notre famille avait l’esprit guerrier, avec une tendance au mysticisme et à l’ascétisme.
Pendant le seizième et le dix-septième siècle, plusieurs barons von Ungern avaient leurs châteaux en Livonie et en Estonie. Maints contes et légendes rapportent leurs exploits. Heinrich von Sternberg, qu’on appelait « la Hache » était chevalier-errant. Les tournois de France, d’Angleterre, d’Espagne et d’Italie connaissaient son nom et sa lance, qui remplissaient de terreur le cœur de ses adversaires. Il tomba à Cadix sous l’épée d’un chevalier qui lui fendit le crâne. Le baron Raoul Ungern était un chevalier-brigand qui opérait entre Riga et Reval. Le baron Pierre Ungern avait son château dans l’île de Dago en pleine mer Baltique où il tenait à sa merci les marchands de son époque par ses exploits de corsaire. Au commencement du dix-huitième siècle, un fameux baron Wilhelm Ungern était connu sous le nom de « frère de Satan » à cause de sa pratique de l’alchimie. Mon grand-père était corsaire dans l’océan Indien, imposant le tribut aux vaisseaux anglais marchands et échappant pendant de nombreuses années à leurs navires de guerre. Capturé à la fin, il fut livré au consul russe qui le fit transporter en Russie où il fut condamné à la déportation en Transbaïkalie.
Je suis, moi aussi, officier de marine, mais la guerre russo-japonaise me força à abandonner ma profession pour me joindre aux Cosaques du Zabaïkal. Toute ma vie je l’ai consacrée à la guerre, ou à l’étude du bouddhisme. Mon grand-père nous avait rapporté le bouddhisme des Indes : mon père et moi nous en devînmes des adeptes.
Dans les livres bouddhiques comme dans les vieux livres chrétiens,
on lit de graves prophéties relatives à l’époque où devra commencer la guerre entre les bons et les mauvais esprits.
Alors viendra la malédiction inconnue qui, conquérant le monde, balayant toute civilisation, tuera toute moralité et détruira les peuples.
L'Intelligence créatrice aidée de l’expérience du passé sera remplacée par la force jeune et brutale du destructeur. Celui-ci placera et maintiendra au premier rang les passions viles et les bas instincts.
L’homme s’éloignera du divin et du spirituel.
La grande guerre a prouvé que l’humanité doit s’élever vers un idéal toujours plus haut ; mais c’est à ce moment qu’apparut la malédiction que pressentirent le Christ, l’apôtre saint Jean, Bouddha, les premiers martyrs chrétiens, Dante, Léonard de Vinci, Goethe, Dostoïevski. La malédiction apparaissant fit reculer le progrès, nous barrant la route vers le divin.
Au seuil de notre vie est le Karma, qui ne connaît ni la colère ni le pardon.
Il règle nos comptes, et
le résultat sera la famine, la destruction, la mort de la civilisation,
de la gloire, de l’honneur, la mort des nations, la mort des peuples.
Je vois déjà cette horreur,
cette sombre et folle
destruction de l’humanité.