"C'est un mauvais jour pour l'Europe", cingla David Cameron quand fut avalisée la candidature de Jean-Claude Juncker à la présidence de l'Union européenne. Il faudra se souvenir de ce mot excessif pour clamer, quand les Britanniques choisiront par référendum de quitter l'UE: "C'est un bon jour pour l'Europe." En effet, il est aujourd'hui nécessaire que l'UE se débarrasse de la Grande-Bretagne. Ou plutôt de l'Angleterre, car l'Ecosse devra être au plus vite réintégrée dans l'Europe et dans la zone euro, si son peuple choisit l'indépendance en septembre prochain; de même pour Cardiff et Belfast lorsqu'elles décideront de maîtriser leur destin politique.
En plus de quarante ans d'appartenance officielle à l'Union européenne, jamais l'Angleterre n'en a accepté l'esprit, s'efforçant sans relâche de tirer profit des politiques menées et de saboter celles qui pouvaient lui coûter. Avec Margaret Thatcher, au moins, cette stratégie était claire: la Dame de fer exigeait son chèque pour que l'aventure collective ne prive pas d'un penny la cagnotte de son peuple, et ne participait que pour la galerie aux transferts de souveraineté. Londres était comme un convive invité à un banquet, qui ne goûte pas les plats, critique le chef et part avec les pourboires!
L'hypocrisie so british
Puis vint le temps de l'hypocrisie, quand travaillistes comme conservateurs ont fait mine d'apprécier et d'approuver l'UE afin de mieux la contrôler et la coloniser, notamment grâce à leurs talentueux diplomates, dépêchés comme une armée de virus dans les logiciels bruxellois. Leur ennemi: la moindre tentation fédérale. Leur objectif: que l'union politique soit une fiction et le marché unique, la réalité. Si, aujourd'hui, la commission est sous influence ultralibérale et le Parlement sous zizanie souverainiste, c'est en grande partie la faute de Londres. Pendant ce temps, la City prospère, notamment grâce aux dispositions communautaires, qui lui permettent d'attirer un maximum de liquidités, d'écraser les places continentales et de tourner comme le plus puissant paradis fiscal légal de la planète!
Avec David Cameron, le machiavélisme avance chaussé de gros sabots. Il tente de fracturer l'axe franco-allemand, comme lors des négociations budgétaires; il essaie d'entraver les rares avancées démocratiques convenues entre tous, telle la désignation par chaque camp, avant les élections au Parlement, de son candidat pour présider la Commission; il pratique le chantage, via la menace d'un référendum pour quitter l'Union si celle-ci ne se réforme pas à sa convenance. Il ne lui suffit plus que l'Europe rapporte, il faut qu'elle obéisse.
Farewell England
Le temps est venu de cet "opt out" grandeur nature, par lequel Londres reprendra le large. Etre débarrassé de cet alien présentera plusieurs avantages pour l'Union européenne. D'abord, celle-ci pourra mener son bras de fer commercial et, parfois, diplomatique avec les Etats-Unis sans avoir à gérer l'insupportable vassalisation de Londres à Washington. Que l'Angleterre soit la tête de pont de l'Amérique du Nord en Europe n'est pas gênant; qu'elle en soit la cinquième colonne, si.
Ensuite, les pays de la zone euro auront toute latitude pour fondre leurs politiques budgétaires, fiscales et sociales sans subir les foudres des Anglais, acharnés à dire ce qu'il faut faire dans un groupe dont ils ne sont même pas membres. Enfin, les pays qui le souhaiteront pourront reprendre leur marche vers le fédéralisme, afin de juxtaposer bientôt une grande nation européenne, une vaste zone de commerce libre et le reste du monde, dont le seuil s'appellera Tamise. Par ailleurs, les Anglais semblent plus nombreux chaque jour à penser qu'ils seraient plus heureux hors de l'Union: or l'Histoire montre que l'Europe va mieux quand les Anglais connaissent le bonheur...
Hélas, il y a fort à parier que la City, consciente qu'elle profite à plein de l'UE, fera tout pour que le référendum ne se tienne pas ou aboutisse à la défaite des souverainistes. Le peuple est imprévisible, mais il est aussi influençable: si l'Angleterre ne largue pas les amarres, nous devrons les couper.