C'est sur une pratique incroyable qu'a enquêté pendant dix-huit mois la journaliste d'investigation Megan Twohey, de l'agence de presse Reuters : le "child exchange". Dans un reportage interactif en cinq parties dévoilé progressivement du 9 au 11 septembre, la journaliste met au jour un réseau de groupes Facebook et Yahoo! permettant aux parents américains lassés des enfants qu'ils ont adoptés de les donner à d'autres familles, en dehors de toute légalité.
Le nom de cette pratique, le "private re-homing" (changement de foyer privé), est directement inspiré du marché des animaux de compagnie. Mais justifier un "don" humain par un honnête "nous détestons cet enfant de 11 ans originaire du Guatemala" ou par les troubles du comportement dont est victime une adolescente libérienne de 16 ans semble nettement plus contestable.
D'autant qu'en l'absence de toute régulation, le scandale peut rapidement se transformer en cauchemar. C'est le cas de la Libérienne Quita, dont Megan Twohey rapporte l'histoire. Le couple Puchalla, qui l'avait adoptée, lui a trouvé de nouveaux parents en deux jours sur Internet quand il a décidé de s'en "séparer". Sauf que les Eason, à qui ils l'ont confiée sans autre formalité qu'un acte notarial leur déléguant sa responsabilité, étaient bien connus des services d'adoption : ils étaient sujets à des problèmes psychiatriques sérieux, avec des tendances violentes, et leurs deux enfants biologiques leur avaient été retirés quelques années plus tôt, et ils avaient été accusés d'abus sexuel sur des enfants qu'ils baby-sittaient.
Lors de sa première nuit chez les Eason, Quita a été invitée à dormir nue dans leur lit conjugal. Quelques jours plus tard, la nouvelle "famille" quittait les lieux sans laisser de traces, avant d'être rattrapée quelques semaines plus tard par la police. Contre toute attente, la police a rendu la jeune fille... aux Puchalla, les parents adoptifs qui l'avaient abandonnée.
UNE SOLUTION MOINS ONÉREUSE QUE L'ADOPTION CLASSIQUE
En analysant le contenu d'un groupe Yahoo! consacré au "private re-homing", Reuters a compté pas moins de 261 enfants "offerts" sur une période de cinq ans, dont la majorité étaient étrangers, et âgés de 6 à 14 ans. Pour la plupart des familles d'accueil, cette solution présente l'avantage d'être beaucoup moins onéreuse qu'une adoption en bonne et due forme, qui peut s'élever à plusieurs dizaines de milliers d'euros. "Si vous ne voulez pas payer 35 000 euros pour un enfant, vous saisissez votre chance", explique ainsi la femme du couple Eason.
A la suite de cette enquête, l'ensemble des groupes Yahoo! repérés par Reuters ont été supprimés par l'hébergeur, mais Facebook a refusé d'en faire de même avec des espaces similaires organisés sur son réseau, au motif qu'"Internet est un reflet de la société, que les gens utilisent pour toutes sortes de communications et régler toutes sortes de problèmes".