Que ce soit avec les Bouriates (Buriats) en Mongolie ou au Tibet avec le Bouddhisme tibétain, la grande chaine des Maitres ne s’est jamais interrompue. Plus proche de nous on peut déjà déjà cerner une origine de cette chaine avec le Lama Dorjieff. Les Bouriates ont toujours été au coeur de la géopolitique russe et de ses visées en Extrême Orient. Jusqu’à la première moitié du XVIIIème siècle, cette ethnie mongole était majoritairement fidèle à la religion chamanique avant de se transformer à partir de 1741 en une dévote population bouddhiste.
Le plus célèbre représentant de cette intelligentsia est sans doute le lama Agwan Dorjiev, né dans le village de Khara-Shibir (province de Verknie Oudinak, aujourd’hui Oulan-Oudé) vers le milieu du XIXe siècle. Il fut d’abord élève au couvent d’Amochovski, en Mongolie bouriate, avant d’entrer en 1868 au monastère de Gandan selon certains, au monastère de Khüre, fameuse école lamaïste d’Ourga, selon d’autres. Puis il acheva ses études, non sans certaines complications à cause de sa nationalité russe, au couvent de Brebung (parfois orthographiée Drebung) près de Lhassa, considéré par les Anglais comme une pépinière d’éléments séditieux. Exceptionnellement doué et habile, parlant plusieurs langues orientales ainsi que le russe et le français, Dorjiev, grâce à sa réputation, fut nommé précepteur du treizième dalaï-lama, Thubten Gyatso (1876-1933), dont il devint l’un des conseillers le plus écoutés. En 1884, Dorjiev avait été admis dans la Société impériale de géographie, participant, à ce qu’on dit, à l’expédition de Prjevalski dans le nord du Tibet. En 1885, il entra en contacts étroits avec les services secrets tsaristes. Par ce biais, il introduisit discrètement soixante de ses confrères lamas dans les plus importantes administrations russes, aidé en cela par un autre Bouriate nommé Zybikov, homme de confiance de son compatriote Piotr Badmaïev. Promoteur d’une sorte de néo-bouddhisme avec des ambitions réformatrices, Dorjiev contribua aussi à une adaptation de l’alphabet mongol au parler de ses compatriotes. Dans le même temps, il se chargea de l’occidentalisation de l’écriture bouriate, favorisant la latinisation des caractères. Il s’agit d’un phénomène assez insolite, non pas tant parce que l’on se serait plutôt attendu, de la part d’un loyal sujet russe, à une "cyrillisation", que parce que l’on sait que lorsqu’on veut détruire une culture traditionnelle, la première chose à faire est d’en changer l’écriture.
Monastère de Drepung ou le jeune Agvan Dorjieff étudia
Naturellement, la supposée appartenance de Dorjiev aux services secrets russes a été mise en doute par de nombreux auteurs, spécialement russes. John Snelling, auteur d’une biographie de Dorjiev qui fait autorité, il nie fermement cette éventualité, observant que l’influent lama s’était plongé en 1885 dans l’étude des traités de dialectique bouddhiques. On peut rétorquer que cette activité, en elle-même, ne l’empêchait certainement pas de se consacrer à quelque chose d’autre. D’ailleurs, le même auteur affirme que lorsque Dorjiev était à Lhassa, il n’était pas hermétiquement coupé de l’Empire russe, au point que l’on ne sait pas bien pour quel genre de services il reçut en 1896 une décoration de Nicolas II. Mais il y a plus. observant la rapidité avec laquelle le Bouriate avait achevé son apprentissage intellectuel à Lhassa en 1888, Snelling déclare qu’il fallait pour cela disposer de "fonds importants" et ajoute :
« Tout indique que Dorjiev avait un protecteur et parrain influent. peut-être recevait-il de l’argent de la Russie – peut-être de milieux haut placés en Russie. Naturellement, il se montre réservé au sujet de choses de ce genre. (Everything points to Dorzhiev having an influential patron and sponsor. Perhaps money was reaching him from Russia – and perhaps from high places in Russia. Naturally he is reticent about anything of this kind). » à suivre …
Le secret du Tsar Blanc : Il n’existe que trois traditions où la parole des Maitres a circulé de façon ininterrompue depuis la nuit des temps : 1) une tradition hélleno-judaique qui connu une véritable renaissance au Moyen Age avec l’essort des Carolingiens qui en furent les véritables dépositaires, 2) une tradition islamique (soufisme en particulier et bien étudié par Henry Corbin), 3) une tradition hyperboréenne qui fusionna avec l’hindouisme (où le contraire) : c’est de celle-ci dont nous nous occupons à la suite des hypothèse guénoniennes et autres, dont les nôtres. A la veille de la révolution russe qui allait bouleverser l’ordre mondial et comme mû par une volonté supérieure (Joseph de Maistre y aurait vu la main de la Providence) dans le but de préserver ce qui peut l’être avant le grand chaos, la plupart des mages occidentaux se retrouvèrent à la cour impériale. En cela ils avaient déjà été précédés de quelques envoyés européens au nombre desquels on notera Voltaire puis Joseph de Maistre qui en transcrivit le récit dans les "soirées de Saint Petersbourg". Saint Petersbourg (avant de devenir un temps Pétrograd), fut donc pour un temps la capitale spirituelle de l’Occident. Pourquoi et comment s’organisa ensuite la transmission ? par quelles filières ? Bien des portes restent à ouvrir, bien des pistes sont à explorer. Il se trouve que dans notre vie personnelle nous avons été en contact avec l’un des maillons de cette chaine des Maitres et nous autorise sinon nous oblige à en publier le récit.