Pour la presse de Sofia, la Bulgarie s’est retrouvée, une fois de plus, au coeur d’un “scandale international”. Tous les médias relaient ainsi le contenu de plusieurs articles parus récemment et dont les auteurs disent avoir “percé le secret des djihadistes”.

La cruauté – tout comme la détermination – des combattants de Daech s’expliquerait par leur consommation d’une drogue interdite, le captagon. Et qui serait produite depuis 2011 en Bulgarie dans un “laboratoire de l’Alliance atlantique”, comme le précise l’agence officielle russe Ria Novosti. Le journal en ligne Tunisie numérique et l’agence de presse cubaine Prensa Latina vont dans le même sens.

Pour Ria Novosti, cette “potion de la terreur” a joué un grand rôle dans les “printemps arabes”, son usage expliquant en partie l’enthousiasme des “foules de Tunis, d’Egypte et de Libye”. L’agence rappelle aussi, comme de nombreux autres médias russes, une affirmation qui n’a jamais pu être étayée de manière indépendante : le captagon aurait été également distribué à des manifestants sur la place Maïdan (Kiev), et aurait été utilisé aussi par les forces ukrainiennes comme stimulant lors de leurs opérations dans l’est de l’Ukraine.

“Mensonge”

Interdite depuis 1986, la molécule du captagon (son appellation médicale est la fénéthylline) est un psychotrope puissant connu pour procurer une tonicité sans pareille, et permettrait de vaincre la peur, la fatigue et la douleur, tout en augmentant les performances sexuelles. Ce qui colle avec le contenu de nombreux témoignages de terrain, décrivant les combattants de Daech dans un état second, voire “complètement shootés”.

Contacté par le quotidien 24 Tchassa, le ministère de la Défense bulgare a, en revanche, démenti l’existence d’un quelconque “labo” de l’Otan dans le pays :


“L’Alliance atlantique est une organisation de défense collective, dont la Bulgarie fait partie, mais la production de captagon comme de tout autre produit psychotrope ne fait pas partie des activités ni des objectifs de l’organisation.”

Déniché par le journal Vsekiden, un laboratoire travaillant pour la Défense existe bien à la faculté de chimie de Sofia, mais il s’occupe de tester différents textiles pour la fabrication d’uniformes. “C’est un mensonge éhonté”, a conclu l’ex-ministre de la Défense, Nikolaï Tsonev.

Production industrielle

Pourtant, la Bulgarie a une longue histoire avec le captagon, dans lequel le régime communiste avait vu une mine d’or. Au début des années 1980, Sofia a importé de petites quantités de captagon d’Allemagne (de l’Ouest) avant de se lancer dans sa propre production, cette fois-ci à une échelle industrielle – et illégale. Les recettes ont alimenté en devises un pays de plus en plus exsangue.

Après la chute du Mur en 1989, les canaux et, parfois, les lieux de production survivent pendant de nombreuses années. “Privatisé”, ce trafic est à l’origine de la création des principaux groupes mafieux du pays et connaît un essor spectaculaire jusqu’à l’entrée de la Bulgarie dans l’Union européenne, en 2007. Depuis, selon les experts, la production s’est déplacée vers le Moyen-Orient et, depuis 2011, surtout la Syrie où elle échappe à tout contrôle. Mais un certain savoir-faire bulgare en la matière persiste. Issus des grandes usines pharmaceutiques communistes, des “experts” bulgares parcourent le monde arabe en faisant monnayer leurs compétences. L’un d’eux, âgé de 47 ans, a été arrêté en novembre 2014 au Liban. Selon le quotidien Dnevnik, il serait l’un des plus performants en la matière.