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Six mois de grève des urgentistes

Malgré le déblocage d'une enveloppe de 70 millions d'euros par le gouvernement au mois de juin, un tiers des services d'urgences sont actuellement en grève.
Malgré le déblocage d'une enveloppe de 70 millions d'euros par le gouvernement au mois de juin, un tiers des services d'urgences sont actuellement en grève. - Samuel Boivin / NurPhoto
Urgence chez les urgentistes

Six mois de

grève des

urgentistes

et un

gouvernement

dans le déni

Selon le collectif inter-urgences, 217 services sont actuellement en grève dans toute la France. Si le ministère de la Santé assure que les situations se règlent peu à peu “localement”, le personnel gréviste dénonce lui les “mensonges” du gouvernement. Et promet un mois de septembre animé.

La douceur de l’été ne peut rien contre leur colère et leur entêtement à se soulever. Qu’importe si cette période de l’année est davantage propice aux vacances plutôt qu’aux mobilisations sociales. Dans tout le pays, six mois après le début de ce mouvement touchant les services d’urgence, ce sont exactement 217 services sur 520 qui se déclarent actuellement en grève selon le Collectif inter-urgences, qui présente une carte de la mobilisation mise à jour en temps réel sur son site. Soit deux fois plus qu’au mois de juin, date à laquelle Agnès Buzyn, ministre de la Santé, avait annoncé le déblocage d’une enveloppe de 70 millions d’euros pour calmer la grogne : 55 millions pour le financement de primes de 100 euros à destination des soignants et 15 millions pour renforcer les effectifs pour l’été. Sur le terrain, cette main tendue a été accueillie comme une provocation. “La ministre ignore volontairement nos demandes, regrette Candice Lafarge, porte-parole du collectif, auprès de Marianne. Nous lui demandons, des mois durant, des moyens pérennes, et elle nous offre une prime exceptionnelle. Il y a de quoi désespérer !”. D’où le rebond de cette mobilisation ?

“Agnès Buzyn tente de garder la tête haute, de montrer qu’elle maîtrise la situation”

Du côté du ministère, l’heure est au déni. En fin de semaine dernière, par voie de communiqué, celui-ci jugeait la mobilisation comme “en déclin à certains endroits”. Des négociations locales, annonçait-il, ayant débouché sur des “protocoles de sortie de grève” dans 28 établissements. "Certains services restent en grève par solidarité alors même que les situations ont été réglées localement", ajoutait même le ministère de la Santé, taquin. “Agnès Buzyn tente de garder la tête haute, de montrer qu’elle maîtrise la situation, juge Christophe Le Tallec, aide soignant au CHU de Nantes (Loire-Atlantique) et vice-président du collectif. Quand on connaît la situation sur le terrain, cette attitude a de quoi faire bondir”.

En Pays de la Loire, 10 services se sont déclarés en grève (Nantes, Cholet, Angers, Château-Gontier, Châteaubriant, Laval, Le Mans, Saumur, et deux à Saint-Nazaire). Et les négociations sont, partout, au point mort. À Nantes, nous explique-t-il, dix équivalents temps-plein ont été promis par la direction. Mais à une seule condition : que la grève cesse immédiatement. "Chantage refusé", lance le soignant. “Selon les préconisations du Samu - Urgences de France, nous manquons de 16 postes pour être à la hauteur de nos missions, précise-t-il. Partout sur le territoire, les différents ratios de postes en fonction de l’affluence constatée doivent être respectés. Il faut un engagement des différents chefs d’établissement à ce propos”.

En attendant une telle avancée, le franchissement de la période estivale devait être facilité par les moyens mis à disposition par la ministre de la Santé. Notamment dans les zones touristiques qui y constatent traditionnellement un pic d’admission. “Pourtant, chez nous, à Saint-Nazaire, lieu touristique, il n’y a rien eu, s’agace Christophe Le Tallec. Cet été, nous y avons constaté 103 hospitalisations sur des brancards, dans les couloirs. Le fruit du manque de lits, de moyens... Il y a un fossé entre les réalités constatées sur le terrain et les annonces”.

Plus de 4 heures d’attente à l’entrée des urgences

Parmi le personnel mobilisé, beaucoup s’interrogent sur ce que sont devenus ces fameux moyens supplémentaires. Évaporés ? “Nous savons que les agences régionales de santé (ARS) ont bien reçu les sommes dites, nous informe Swan Meynier, délégué du collectif pour la région Bourgogne-Franche-Comté. Malheureusement, le versement est intervenu bien tardivement pour soulager le personnel soignant sur cette période. À savoir, le 14 août... De plus, nous ne savons pas vers où ni comment ces sommes vont être distribuées. L’opacité la plus totale règne”. Irrités, 16 services sur 32 (Sens, Joigny, Auxerre, Tonnerre, Avallon, Semur-en-Auxois, Besançon, Pontarlier, Lons-le-Saunier, Trévenans, Le Creusot, Montceau-les-Mines, Autun, Paray-le-Monial, Mâcon, Nevers) se sont déclarés en grève dans toute la région. Et trois autres devraient rejoindre le mouvement dans les prochains jours, selon lui.

À Lons-le-Saunier (Jura), où opère Swan Meynier, le ras-le-bol des troupes a été provoqué par la fermeture de 50 lits ces dernières semaines. Multipliant ainsi le nombre de patients errant dans les couloirs, allongés sur des brancards. Une situation insoutenable, d’autant que les moyens humains sont également insuffisants. “Nous manquons de médecins et de spécialistes mais aussi et surtout de petites mains, explique-t-il. Avant, nous avions un pool de remplaçants constitué d’infirmiers volontaires. Nous pouvions piocher dedans quand tombaient des arrêts maladie… C’était notre soupape de sécurité collective. Aujourd’hui, nous sommes en effectifs minimums en permanence, nous faisons avec les moyens du bord”.Même problématique en Bretagne où 10 services sont en grève (Lannion, Morlaix, Brest, Carhaix, Quimper, Concarneau, Vannes, Redon-Carentoir, Rennes et Fougères). En cause, les délais d’attente qui explosent, atteignant cet été une moyenne de 4 heures et 8 minutes, selon Morgan Quentel Barbi, membre du collectif inter-urgences. “Le seul point positif, dans toute la région, vient de Brest, notifie-t-il. Nous avons pu obtenir l’ouverture de 8 lits et le recrutement d’un brancardier jusqu’à la fin du mois d’août”. A Bastia (Corse), un agent administratif de nuit a pu être embauché. À Valence (Drôme), des intérimaires ont été appelés en renfort. Des respirations qui ne sont qu’éphémères, étant prévues pour ne durer que le temps d’un été.

Un mois de septembre mouvementé ?

En région Rhône-Alpes, Benoît Cransac, représentant régional du collectif, regrette également qu’aucune ouverture de poste n’ait été financée cet été. Qu’importe que 12 services soient en grève aujourd’hui. À Annecy (Haute-Savoie), cependant, le service d’urgence pourrait bien être renfloué dans les semaines à venir. “Il ne faut pas sauter de joie, avertit-il. Notre direction nous a prévenu que nos renforts éventuels seront piochés dans les ressources d’autres services pour équilibrer la balance… Aujourd’hui, l’hôpital se gère comme une entreprise. Quand il y a des gagnants, il y a aussi des perdants”.

"L'hôpital se gère comme une entreprise. Quand il y a des gagnants, il y a aussi des perdants"

C’est d’ailleurs tout le secteur de la santé que le Collectif inter-urgences espère mobiliser dès le mois de septembre. “Les urgences ne sont qu’une vitrine d’un secteur en perdition. Derrière, c’est tout l’hôpital public qui est en danger, déplore Christophe Le Tallec. Nous avons pris des contacts avec les syndicats de médecins, l’association des médecins urgentistes (Amuf) et les structures représentant les patients, entre autres, pour se donner les moyens d’être écoutés”. “Les Ehpad ont été laissés pour compte, la psychiatrie a été ignorée, et nous nous sommes méprisés, constate à son tour Candice Lafarge. Nous devons imposer au gouvernement de nous prendre au sérieux”. Une journée d’action est d’ores et déjà fixée au 26 septembre.



23/08/2019
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