Le séjour coûte en moyenne 8000 euros de plus par an, sans que le service soit à la hauteur. Deuxième volet de notre enquête.
Dans le premier volet de notre enquête sur les Ehpad, nous sommes revenus longuement sur l'incroyable développement des réseaux privés en France. Sauf que derrière ces belles-success story, devenues des "business cases" pour écoles de commerce, se cache une réalité moins glorieuse. Aujourd'hui, en France, c'est un fait : payer plus cher une maison de retraite dans le privé ne donne pas accès à un meilleur service...
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Qu'a-t-on pour 8 000 euros supplémentaires -en moyenne- par an? Un immobilier plus récent et plus luxueux, c'est indéniable. Mais pas grand chose de plus. C'est en tout cas la conclusion de la députée Monique Iborra (REM), auteure d'un rapport parlementaire sur le sujet. Au lendemain de la grève historique de l'Ehpad des Opalines à Foucherans (Jura), point de départ de la grande mobilisation du 30 janvier dernier, cette ancienne sage-femme a fait le tour de France des maisons de retraite. Son verdict est sans appel : "La différence de prix entre le privé commercial et le public n'est pas à la hauteur de la différence de services."
Si l'on en croit les statistiques sur les taux d'arrêts maladie, d'accidents du travail ou encore le turnover, les conditions de travail y sont tout aussi déplorables que dans le public, avec des niveaux de salaires à peu près identiques. Employée depuis plus de vingt ans chez Orpea, Melinda*, la soixantaine, touche 1 700 euros par mois pour travailler de nuit et le dimanche. Récemment, la directrice de son établissement a essayé d'imposer le passage de onze à douze heures d'amplitude horaire, contre l'avis des syndicats. "Aujourd'hui, elle prend les filles une par une pour leur faire signer cet accord. Or 80 % d'entre elles sont déjà obligées de faire des vacations ailleurs pour boucler leurs fins de mois", s'émeut-elle.
Même si le chemin à parcourir reste long, la situation serait aujourd'hui un peu moins tendue chez Korian. En 2017, les salariés du groupe ont en effet obtenu une prime de treizième mois, un luxe dans le secteur. "Depuis la grève de janvier dernier, la direction semble même disposée à négocier sur un certain nombre de points comme les remplacements, le taux d'encadrement des soignants, ou encore les formations valorisantes", précise Albert Papadacci, délégué syndical CGT.
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Alors comment en est-on arrivé là ? "En réalité, c'est parfaitement logique, les résidences privées ne financent pas plus de personnel soignant que ce qui leur est versé par les agences régionales de santé et les départements. Le problème, c'est que ces dotations sont aujourd'hui trop faibles", tacle Pascal Champvert, le président de l'AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées), qui plaide pour la création d'un "cinquième risque" (la perte d'autonomie) pris en compte par la Sécurité sociale.
En moyenne, le taux d'encadrement est même inférieur dans le privé (49,3 %) à celui du public hospitalier (64,1 %). "Les établissements de la fonction publique hospitalière ont toujours été mieux dotés que le privé, qui a bénéficié de subventions plus tardivement. C'est pourquoi on affiche un tel différentiel", se justifie Florence Arnaiz-Maumé, du Synerpa, le syndicat des résidences privées. De fait, c'est pour cette raison que la réforme de la tarification entrée en vigueur il y a un an a fait hurler la Fédération hospitalière française. Prévoyant la convergence tarifaire, elle bénéficiait au secteur privé et pénalisait le secteur public, en réduisant ses dotations.
Des directeurs d'établissement à bout
Il n'empêche, pour rationaliser leurs marges, certains grands groupes ont mis en place des politiques de rentabilité très agressives sur les postes hébergements. "Chez Orpea, beaucoup de directeurs d'établissement sont à bout, obligés de rogner sur les animations, les équipements ou encore la nourriture", explique Guillaume Gobet, délégué syndical central CGT.
A la tête d'une résidence Orpea depuis quinze ans, Pierre*, 50 ans, témoigne d'une pression qui n'a cessé de croître. "Il y a quinze ans, mon établissement affichait un Ebitdar [NDLR : l'indicateur phare du secteur : résultat net avant impôts, intérêts et loyers] de 15 %; aujourd'hui il est à 30 %. Chaque année, on nous demande de faire mieux, sauf que, avec des taux d'occupation à près de 100 %, c'est impossible." Coincé entre des résidents mécontents et des ratios financiers toujours plus exigeants, Pierre a décidé de jeter l'éponge : "On a perdu toute dimension humaine dans nos métiers.""
4,40 euros pour trois repas par jour
Un chiffre particulièrement éloquent pour mesurer cette pression : chez Orpea ou chez Korian, la journée alimentaire ne dépasserait pas 4,40 euros par résident. "Avec cette somme, il faut réaliser trois repas et deux collations par jour", décrit Albert Papadacci. Un chiffre démenti par Orpea, qui ne souhaite toutefois "pas communiquer sur ces données".
En réponse au malaise, Monique Iborra a réclamé plus de personnels au chevet des résidents. Pour mieux informer les familles, la députée préconise également la mise en place d'indicateurs permettant d'évaluer la qualité des établissements. "Lorsqu'on paye 5 000 euros par mois pour une maison de retraite, il faut au moins qu'on sache pourquoi." Problème : cela ne réglera pas la question de l'inflation du prix des chambres. En 2013, la ministre déléguée aux Personnes âgées, Michèle Delaunay, avait voulu encadrer le loyer des maisons de retraite, mais la mission a vite été enterrée, officiellement parce qu'il était techniquement impossible de plafonner des loyers dans le privé.
* Les prénoms ont été changés.