Fréquentation en berne, pagaille managériale : Guimet sous la mitraille
Fréquentation en berne, pagaille managériale : Guimet sous la mitraille
Le Musée Guimet serait-il ce "bateau ivre qui va sombrer", comme le prédit Gilles Béguin, qui a longtemps travaillé place d'Iéna dans ce haut lieu des arts asiatiques ? Par la diversité des oeuvres présentées et l'ampleur de sa couverture géographique, de l'Inde au Japon, de l'Asie du Sud-Est au monde himalayen, ce musée des civilisations, né de la volonté d'Emile Guimet en 1889, possède l'une des plus belles collections mondiales sur le sujet.
La crise de gouvernance et la situation de souffrance au travail, que l'établissement public présidé par Olivier de Bernon, depuis septembre 2011, traverse sont d'autant plus graves que sa fréquentation a chuté de moitié en dix ans, au moment où les musées parisiens enregistrent, eux, des pics d'affluence. En 2001, après cinq ans de fermeture pour une rénovation conduite par Henri Gaudin, Guimet recevait 440 000 visiteurs.
En 2002 déjà, il perdait le tiers de ses entrées. Au fil des ans, l'hémorragie s'est installée. En 2012, grâce à deux expositions organisées au pied levé – l'une consacrée au thé, l'autre à Hokusai –, la courbe s'est inversée, et une progression de 15 % est annoncée.
"La grande légitimité scientifique du président est reconnue, précise une source proche du dossier, mais sa faible compétence managériale, l'incapacité à filtrer les conflits de personnes responsables, des paroles malheureuses par dizaines, des mots qui ne passent plus, l'alerte de la médecine de prévention et un dialogue social pollué jusqu'au sein même du ministère de la culture" inquiètent le gouvernement. Interpellée par les organisations syndicales, Laurence Engel, directrice du cabinet de la ministre de la culture, Aurélie Filippetti, demandait, le 4 octobre 2012, une enquête de l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), afin d'examiner "la manière dont le président de l'établissement exerce ses responsabilités".
Olivier de Bernon, président du Musée Guimet depuis septembre 2011. | DR
Que dit le rapport de l'IGAC rendu en décembre 2012 à la ministre, et dont Le Monde s'est procuré une copie ? Est diagnostiquée "une crise manifeste et grave, dont les aspects à la fois structurels et conjoncturels, organisationnels et très personnalisés, la rendent particulièrement difficile à dénouer. (...) La situation s'est tellement dégradée" qu'elle prend "un caractère dramatique dans certains cas spécifiques", notent les rapporteurs. Les difficultés d'organisation qui "remontent à la création de l'Etablissement public en 2004 (...) se sont accrues très fortement entre 2008 et 2011, sous la présidence de Jacques Giès", qui avait ouvert le musée à l'art contemporain sans le succès attendu.
L'audition de 60 agents, sur les 159 du musée, "met en évidence à la fois une souffrance réelle qui touche de nombreux cadres (...) et aussi un très grand isolement des agents les uns par rapport aux autres sur fond de désorganisation". Organigramme "non validé" et contesté, services ultra-cloisonnés. Ce manque de communication, "un des dysfonctionnements majeurs de l'établissement", produit "des souffrances souvent liées à des conflits ouverts ou plus larvés avec la direction générale actuelle".
A ce "climat délétère", note le rapport, s'ajoute "l'inquiétude des personnels sur l'avenir et la survie autonome du musée", en lien avec la chute de la fréquentation. Dans ses observations aux rapporteurs, Olivier de Bernon "fait valoir qu'il s'est efforcé de remédier aux situations de souffrance au travail qu'il a pu identifier", dans les services de la communication, des collections, du mécénat, des relations internationales, de la photothèque. Le retour au dialogue social et aux solutions concrètes apaisantes presse. Pour le président, seul sous la mitraille, le risque est gros. Et l'attente des personnels, immense.
Florence Evin
"J'ai mis trop de pieds dans trop de plats"
Cheveux poivre et sel, à 55 ans, Olivier de Bernon a pris de la bouteille. Vingt ans plus tôt, le docteur en philosophie, diplômé de l'Institut national des langues et civilisations orientales, était l'envoyé de l'Ecole française d'Extrême Orient (EFEO) à Phnom Penh, chargé de la réimplantation au Cambodge de l'Ecole, chassée par les Khmers rouges en 1975. Son verbe est direct. Guimet est, de tous les musées, le "terrain où il y a le plus de mines".
Entre deux avions, Olivier de Bernon nous reçoit, lundi 28 janvier, dans son bureau de Guimet. Il rentre de Chine et file à Phnom Penh assister aux funérailles du roi Norodom Sihanouk. Interrogé sur le rapport de l'IGAC, il concède qu'il n'a pas été patient et se justifie : "On était complètement sortis des écrans radars." Son sens de l'humour et de la repartie, "un mélange très drôle", dont on parle à l'EFEO, ne sont ni du goût de ceux qui en font les frais ni de celui de l'administration.
"J'ai mis peut-être trop de pieds dans beaucoup trop de plats. Il y a un effet de seuil dans certains services, qui sont nettement en sous-effectifs. Le rapport de l'IGAC met en relief cette stratigraphie génératrice d'inquiétudes que je n'ai pas apaisées. Il a révélé, jusqu'au cabinet ministériel, la nécessité d'accompagner l'apurement de toutes les situations administratives du musée. Je m'en réjouis, il y a un passif et même des contentieux, une véritable crise avec des gens qui souffrent vraiment", reconnaît-il.
Le paléographe a passé plus de vingt ans dans la forêt khmère à réaliser l'inventaire informatique, la traduction et la restauration des textes gravés sur des feuilles de latanier. En 2004, Norodom Sihanouk lui confiait ses archives personnelles, 40 mètres linéaires, données à l'EFEO, conservées aux Archives nationales.
Olivier de Bernon doit sa nomination à Frédéric Mitterrand, rencontré quand celui-ci réalisait un film sur Sihanouk cinéaste. L'ex-ministre de la culture cherchait un président pour Guimet. "J'ai eu cinq minutes pour me décider. C'était une opportunité." Son objectif : faire remonter la fréquentation à 350 000 visiteurs en 2013. Lui en laissera-t-on le temps ?
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