Quand les peupliers alertent leurs voisins
Vous n'allez plus regarder votre jardin de la même façon. Oui, les plantes communiquent! Avec leur environnement, bien sûr : avec les insectes pour favoriser leur pollinisation ou repousser des agresseurs. Ainsi du plant de tabac qui, face à une attaque de chenille, émet des substances attirant une guêpe dont les œufs vont tuer l'ennemi. Mais les végétaux parlent aussi entre eux. Dès 1983, les biologistes américains Schultz et Baldwin ont montré comment des arbres sains captaient des signaux d'alerte émis par des peupliers voisins. Depuis, les preuves se multiplient. Dans la savane africaine, Acacia caffra modifie en quelques minutes la composition chimique de ses feuilles pour les rendre astringentes lorsque des antilopes les broutent. Mieux : l'arbre émet des molécules gazeuses pour alerter ses congénères, qui deviennent à leur tour indigestes… Les plantes sont en fait si "bavardes" que, "pour étudier en labo l'effet d'un stress comme le vent, on doit les isoler les unes des autres", sourit Bruno Moulia, directeur de recherche à l'Inra*. Ultrasensibles, elles récoltent quantité d'informations sur leur environnement. Elles "voient" : leurs capteurs de lumière détectent des longueurs d'onde dans le rouge et l'infrarouge. "Elles perçoivent jusqu'à 3 mètres de distance une plante voisine et la distinguent d'un animal ou d'une pierre", précise Bruno Moulia. Elles "touchent" via des capteurs mécaniques. Elles "entendent", ou du moins perçoivent des vibrations. Enfin, elles "sentent", grâce à un nez chimique sophistiqué…
Des messages transitent par les racines
Les végétaux échangent divers types de messages. Par voie chimique, ils émettent des "bouquets" de composés organiques volatils (COV), des molécules gazeuses portées par le vent. Des milliers de COV différents existent : des terpènes présents dans les huiles essentielles; de l'éthylène émis en cas de stress; des green leaf volatiles au parfum d'herbe coupée; des phytohormones comme l'acide jasmonique… "On identifie désormais des signaux chimiques très fins avec des appareils de chromatographie de plus en plus performants. On enferme la plante dans une enceinte et on capture, grâce à des adsorbants, les molécules émises", explique Catherine Fernandez, professeure des universités**. D'autres messages, plus difficiles à étudier, transitent par les racines. En 2010, une étude a ainsi montré comment la tomate malade alerte ses voisines via une mycorhize, un champignon, pour produire des défenses. Un réseau de filaments, comme un Internet souterrain!
D'autres langages semblent exister, renchérit Bruno Moulia. En étudiant des plants d'arabettes des dames, "des chercheurs ont montré que lorsque leurs feuilles se touchent, la voisine le perçoit et relève sa feuille à la verticale, provoquant un changement de luminosité. Un carton rouge pour sa voisine qui freine sa croissance!". En 2012, d'autres chercheurs ont réuni des graines de piment et un pied de fenouil. Celui-ci était tantôt présent, tantôt absent, visible ou invisible. Toutes les voies de communication connues ont été "verrouillées" au moyen de caches et de cloisons. Or, à coup sûr, les piments ont détecté le fenouil! L'hypothèse des auteurs? Ils percevraient les ondes sonores. Des études ont déjà montré que les racines du maïs sont attirées vers certaines fréquences, ou que des plantes assoiffées émettent de petits claquements.
Un riz capable d'inhiber ses concurrents
À ce jour, on n'a identifié que deux récepteurs de signaux chimiques. De nombreux mystères persistent, avoue Catherine Fernandez : par quel moyen les messages sont-ils réceptionnés puis transformés en action? Quels gènes sont activés? S'agit-il d'un réflexe ou d'un dialogue avec ses semblables? "La plante broutée crie-t?elle? Ou dit-elle qu'elle est mangée par une larve de tel papillon?", s'interroge Bruno Moulia. Une plante peut-elle apprendre? Une de ses expériences sur des trembles a montré que ceux-ci conservent pendant sept jours une "mémoire" de leur réponse à une sollicitation.
L'étude de la sensibilité végétale trouve déjà des applications en agriculture. Pour sélectionner les plantes qui émettent des COV attirant ou repoussant tel insecte. Ou pour identifier les variétés de riz capables d'inhiber la croissance de ses plantes concurrentes, comme le font des chercheurs en Chine. Bruno Moulia, lui, tente de rendre les plantes plus sensibles au vent courant pour qu'elles s'endurcissent, et ainsi éviter le recours aux "raccourcisseurs" artificiels. De son côté, Catherine Fernandez étudie les COV émis par le chêne pubescent en cas de sécheresse. Autant de travaux qui permettront, à terme, de cultiver des plantes plus résistantes, sans pesticide ni insecticide.
* Mécanobiologie des plantes, Inra/université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand. ** Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie, Aix-Marseille université/CNRS/IRD.