Quand un gigantesque ouragan fait le tour de Saturne
Quand un gigantesque ouragan fait le tour de Saturne
Entre 2010 et 2011, la planète Saturne a eu comme un anneau de plus. Non pas une de ces magnifiques ceintures de poussières et de glace qui gravitent autour d'elle, mais, comme le décrit minutieusement une étude publiée dans le numéro de mars de la revue Icarus, une tempête si gigantesque qu'elle s'est étalée sur tout le pourtour de la planète géante. Ce genre d'épisode tempétueux n'est pas inconnu sur Saturne. Il revient environ toutes les trois décennies, ce qui correspond à peu près à une année saturnienne étant donné que la planète aux anneaux met un peu plus de 29 de nos années terriennes pour faire le tour du Soleil. On a ainsi pu observer des tempêtes géantes sur cet astre en 1876, 1903, 1933, 1960 et 1990. En général, ces épisodes durent de un à cinq mois. Mais cette fois-ci, la tempête a pris des proportions démesurées tant dans l'espace que dans le temps. Et, surtout, les astronomes avaient pour la première fois la chance d'être aux premières loges du phénomène grâce à la sonde américano-européenne Cassiniqui est en orbite autour de Saturne depuis 2004.
Tout a commencé le 5 décembre 2010 avec la détection d'une vague tache sur une image. La région correspondait à celle où se trouvait ce que les chercheurs appellent le "collier de perles", un alignement bien régulier de petites structures atmosphériques rondes, découvert en 2006. En l'espace d'un mois, la tempête a enflé et la tache, qui était de plus en plus grosse, s'est étalée vers l'ouest le long du 35e parallèle nord comme un serpent immense sortant d'un trou.
L'illustration ci-dessous montre une série de quatre images réalisées à partir des données de Cassini, entre janvier et juillet 2011. Chacune des quatre bandes recompose le pourtour intégral de Saturne à hauteur du 35e parallèle. Le triangle rouge indique la "tête" de la tempête tandis que le triangle jaune signale sa "queue". Sur la bande du haut, qui date de janvier 2011, on s'aperçoit que la queue est représentée par un énorme vortex anticyclonique. Il mesure quelque 12 000 kilomètres de diamètre, ce qui est un record pour Saturne. Il est alors suffisamment grand pour que la Terre tienne dedans et les vents qui soufflent autour de ce vortex dépassent les 430 km/h .
L'ouragan se déplace vers l'ouest, c'est-à-dire vers la gauche de l'image : Saturne étant une planète gazeuse, nul relief, nulle montagne ne va ralentir ou arrêter le monstre. La particularité du phénomène tient dans le fait que la tête avance bien plus vite que la queue. Tout cela a pour conséquence que la tempête s'étire de plus en plus au fil des mois. Sur la deuxième image, la tête est sortie du cadre par la gauche et y est rentrée par la droite. Sur la troisième, qui date du 14 juin 2011, on s'aperçoit que la boucle est presque bouclée et, sur la quatrième et dernière image, le serpent se mord enfin la queue : la tempête a ceinturé Saturne. Elle s'étale sur plus de 300 000 kilomètres, soit plus des trois-quarts de la distance moyenne Terre-Lune !
Une fois la jonction effectuée, la tempête va rapidement s'arrêter pour une raison qui reste encore mystérieuse aux yeux des astronomes. Ceux-ci se posent d'ailleurs d'autres questions. La naissance de ce phénomène est-elle liée au "collier de perles" que l'on n'a pas revu depuis ? Pourquoi l'énorme vortex anticyclonique, le plus gros jamais observé jusqu'à présent sur Saturne, n'a-t-il pas survécu alors que sur Jupiter, autre géante gazeuse, des phénomènes analogues tiennent pendant des années voire des siècles comme la Grande Tache rouge ? Même si Cassini, dont la mission est censée s'achever en 2017, n'apportera pas forcément les réponses à ces interrogations, elle pourra toutefois observer les retombées atmosphériques de cette tempête hors du commun, qui se feront probablement sentir pendant plusieurs années. Pour Scott Edgington, un des responsables scientifiques de la mission au Jet Propulsion Laboratory de la NASA, ce genre de données "aide les chercheurs à comparer les structures météorologiques dans tout le système solaire et à apprendre ce qui les alimente et ce qui y met fin." Les autres astres nous servent en quelque sorte de laboratoires à distance : on étudie les phénomènes atmosphériques de Jupiter ou de Saturne, on scrute les cratères d'impact de la Lune ou de Mercure, on essaie de comprendre si Mars a pu aussi accueillir la vie et, sur Vénus, on constate les dégâts de l'effet de serre...
Pierre Barthélémy
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